En Nos Vertes Années
prix.
Les chambrières y étaient fabuleusement décrépites, et l’alberguier fort en
méfiance de ces Français du Nord.
— Pâques Dieu ! dit
Caudebec en mangeant du bout des lèvres une soupasse de fèves où traînaient des
morceaux de chair salée. C’est tout juste l’Enfer après le Paradis ! Ce
vin est piquant comme pisse !
Monsieur mon truchement, demandez à
cette face de carême de me bailler du moins une bonne et jeune garce pour
veiller cette nuit sur mon sommeil.
Je traduisis, et à cette demande,
l’alberguier sourcilla fort.
— Moussu, dit-il, refusant tout
à plat, je ne tiens pas boutique ni marchandise de garces.
— Que dit cette longue
face ? cria Caudebec.
— Qu’il n’en est point céans.
— Quoi ? Point de
garce ? Dans tout ce bourg ? Sanguienne ! Se moque-t-on de
Caudebec ?
— Non point, dis-je pour
l’apazimer, elles seront toutes parties sur le coteau aider le laboureur à ses
moissons.
Toutefois, là-dedans, Caudebec ne
coupa point, et jurant qu’il allait tout occire, dégaina sa dague. Mais ceci
n’émut guère l’alberguier qui, toujours sourcillant, resta de bronze.
— Monsieur le Baron, dis-je,
rengainez, ce bourg-ci ne nous aime pas. N’y cherchons pas querelle. Une nuit
sans garce est vite passée.
— Oh, que nenni ! dit
Caudebec, la mine fort triste tout soudain. Sans tétons pour dormir, je ne
pense qu’à ma mort, au feu du purgatoire et à mes gros péchés.
— Monsieur le Baron, dit Frère
Antoine, si vous pouviez dormir une seule nuit sans gouge, ils seraient moins
gros.
— Hélas ! dit Caudebec.
Avec garce je pèche, mais à mes péchés ne pense. Et le tout n’est point dans le
péché, mais dans le pensement.
Quoi dit, il pleura. Eh oui !
Ce haut et puissant Baron pleura. Il est vrai qu’il avait bu beaucoup.
Je me tournai vers l’alberguier et
lui assurai qu’il pouvait aller en paix, et qu’il ne serait pas plus avant
molesté. Mais l’alberguier dit alors en son dialecte, et avec une merveilleuse
fermeté, et de ton et de visage :
— Je n’ai pas de crainte.
Aucune misère ne vient au-devant du Juste.
À cette citation de la Bible, je sus
alors qu’il était des nôtres. Et à vrai dire, d’emblée, je l’avais pensé, tant
il regardait les pèlerins, leurs médailles et leurs moines avec peu d’amitié.
— Ha ! dit le Baron, les
pleurs lui tombant des yeux comme pluie en automne. Au purgatoire je suis déjà.
Manger cette galimafrée ! Boire cette vinasse ! Et servi par des
vieilles qui n’ont pas dents en gueule ! Sans rien de gracieux à l’entour
à me mettre sous l’œil ! Ni sous la patte ! Pâques Dieu ! Je
suis déjà mort et damné !
Et de son sort il fut si dépit qu’il
but de cette méchante piquette à rouler sous la table. Cependant le lendemain,
tard réveillé et les yeux fort troubles, il n’oublia pas pour autant le souci
de sa bourse et le disputa une heure durant avec l’alberguier, touchant un
compte au demeurant fort honnête. Bref le soleil disait déjà midi quand enfin on
reprit le grand chemin de Thoulouse à Montpellier.
Ce jour-là on fit à peine un peu
plus de cinq lieues, couchant cette fois à Castelnau d’Ary, Samson et moi, et
Miroul aussi, fort impatients de cette lenteur, car nos petits chevaux eussent
pu faire dix lieues par jour, tant ils étaient rapides et résistants, et Samson
en particulier, se désolant de la dépense de tant d’auberges. Hélas pour mon
pauvre Samson, celle de Castelnau d’Ary portait en enseigne un lion d’or, et ce
lion, à l’usance, ne se montra pas plus angélique que les deux anges de
Thoulouse, car il avait grande gueule pour enfourner les viandes et grandes
griffes pour happer les tendres proies qui ne manquaient point en ce
« logis » – comme humblement il se nommait.
L’alberguière, en outre, pâtissait à
ravir, et je ne saurais décrire l’infinie variété de gâteaux dont elle excitait
la friandise de sa pratique. Ces mignardises étaient le matin disposées sur la
table de la grand’salle, à prendre à toute heure par qui voulait, pourvu qu’on
fût son hôte, et en telle quantité que l’appétit le plus strident pût en être
content. Qui plus est, l’alberguière ne comptait point ces merveilles en
supplément, ces mignons casse-gueules lui paraissant sans grande conséquence.
Je m’en donnai une belle ventrée. Et ce jour d’hui encore, je ne peux prononcer
le nom de Castelnau
Weitere Kostenlose Bücher