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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’Ary sans que la salive me vienne en bouche en souvenir de
ces fêtes du gosier que l’hôtesse nous bailla gratis au logis du Lion d’Or.
    Cette bonne alberguière, qui avait
les doigts si légers à pâtisser sa pâte et l’âme si donnante, était brune,
petite, rondelette, et dans le bourg on l’appelait la patota, pour ce
qu’elle avait la face ronde et fraîche comme poupée. Au demeurant, fort éprise
des grandes moustaches de son mari, fidèle à lui comme diamant, et bien que
fort accorte, à ne toucher que de l’œil.
    Mais tant de plus palpables garces
gîtaient en ce logis – puisque logis il se disait – que Caudebec s’y
ococoula comme renard en tanière et y resta cinq longs jours sous l’usuel
prétexte de reposer les chevaux – lesquels, à vrai dire, frais comme
poulains au vert, se prélassaient sans mouches dans l’ombre fraîche des écuries
et menaient grande chère, le picotin, en cette maison, n’étant point avare. Si
bien que nous serions encore, à cette heure, à peigner la crinière du lion, et
mon gentil Samson, quasi hors de ses sens à tant bourse délier, si Frère
Antoine, qui confessait Caudebec à son réveil (le seul moment du jour où il fût
à jeun et sans ribaude), n’avait, pour finir, froncé les noirs, épais et
impérieux sourcils qui barraient sa large face. Cela suffit. Le lendemain on
leva l’ancre de ce havre.
    Je sus par le page Rouen que, pour
le décider, Frère Antoine avait menacé Caudebec de lui rogner d’aucuns jours
d’indulgence que le Baron venait d’acquérir. Car le bon homme, qui était fort
regardant avec son prochain, ne l’était point touchant son salut, et tenait un
compte exact des milliers de jours d’indulgence dont il faisait l’achat par ses
offrandes, et qui viendraient, croyait-il, diminuer d’autant les années qu’il
aurait à passer au purgatoire. Mais sur ce chapitre, à mes yeux si scandaleux,
du purgatoire et des indulgences, je tairai mon sentiment, de peur de chagriner
ceux de mes lecteurs qui opinent là-dessus différemment de moi.
    Avant de quitter Castelnau d’Ary,
j’allai voir seul – Samson étant censé être aigrotant – les pierres
de Norouse qui se dressent sur une éminence à côté du bourg. On raconte à leur
sujet qu’une vieille ménine, passant là son chemin en portant sept cailloux en
son tablier, les jeta séparément sur le sol infertile, jurant que ces cailloux
iraient grossissant et grossissant, et cela jusqu’à se souder l’un à l’autre, à
mesure que les femmes du bourg perdraient honte et vergogne. Je les ai vus, et
j’en ai fait le tour. Et certes, si l’histoire est vraie, de cailloux ces
pierres sont devenues rochers, hauts et larges de quatre toises, et il s’en
faut, ce jour d’hui, de l’épaisseur d’une ligne, qu’ils ne se joignent. Les
gens du bourg m’ont paru ajouter quelque crédit à cette méchante fable, mais à
mon sentiment, elle est née tout entière dans l’esprit un peu fol d’un mari
dépité.
    À mon département du logis du Lion d’Or, j’allai dire un grand merci à la patota, la priant de me
laisser la baiser sur les joues : ce que je fis fort chastement, les mains
derrière le dos, sans la pouitrer ni pétrir en aucune façon. Car à la vérité,
je ne savais quoi premier en notre bonne hôtesse admirer : ou sa
beauté – car c’était une fleur de femme –, ou son art à pâtisser, ou
sa vertu. Puissé-je avoir l’heur, quand le moment viendra pour moi du mariage,
de trouver, en mon rang et condition, une demoiselle qui la vaille !
    — Mon noble Moussu, dit la patota, le parpal palpitant, vous fûtes céans avec tous tant aimable et
serviable qu’à peu que je ne pleure de vous voir partir sur le grand chemin
affronter les périls de votre chevauchée avec votre obligeant valet et votre
frère tant joli et muet. Dieu vous garde et guérisse aussi votre frère de sa
fièvre lente, bien qu’à vrai dire il n’y paraisse pas, à la couleur de sa belle
face. Vous plairait un poutoune encore, mon jeune Moussu ?
    Avec élan de grande amitié, je la
baisai à nouveau sur les joues.
    — Par saint Honorat [2]  ! Voilà que je
pleure ! dit la patota, tout atendrézie. Que je suis rassottée de
m’attacher ainsi à ma pratique, qui passe pourtant sur le grand chemin comme
bateaux sur un fleuve ! Mon noble Moussu, étudiez bien en
Montpellier ! Evitez les querelles et le jeu, et par la Vierge, n’abusez
point des

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