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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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garces : elles sont ruines de corps et perdition de l’âme, comme
bien vous savez.
    — Mais, dis-je, n’est-ce pas
médire là de votre sexe teint gentil et suave ? Mais c’est promis, j’en
userai avec modération. Comme j’ai fait de vos bons gâteaux ! ajoutai-je
en riant.
    Sur quoi la patota rit aussi
à gueule bec, et je dis :
    — Un poutoune encore, ma bonne
hôtesse ?
    Et de nouveau je la saluai.
    — Holà ! dit le mari de la patota en tirant sur ses grandes moustaches. Mon noble Moussu, vous m’allez
user les joues de ma femme à tant la poutouner !
    L’hôte était un solide gaillard,
l’œil vif et le geste prompt, et la langue déliée, et bien connaissait-il son
bonheur d’avoir l’usance d’une femme si vaillante à la tâche, si vertueuse et
si bonne pâtissière. Aussi était-il un peu jaloux, mais le cachait par fierté
sous de petites gausseries.
    J’étais déjà en selle et mettais au
trot quand une jolie chambrière courut après Accla.
    — Ho ! Accla, ho !
dis-je en retenant ma jument. Que me veux-tu, mamie ?
    — Ma maîtresse vous envoie
cette petite provende de gâteaux pour charmer votre chevauchée.
    Et elle me tendit le gracieux don
apaqueté dans un torchon bien propre, les quatre bouts liés ensemble.
J’enfournai le paquet dans mes fontes, et je fis un grand merci à la drolette
pour la patota et donnai de l’éperon. J’ai vergogne à dire que le nœud
de la gorge me serra, et les larmes tout près des yeux, tant cette féminine
attention et douceur me rappela ma Barberine et ses petits présents de gueule
chaque fois que je quittais Mespech, même pour un demi-jour.
    Je rejoignis la queue de notre
cavalcade, mais le chemin montant alors, je mis au pas, comme le reste des
cavaliers. Et je tombai dans un grand pensement de Mespech, lequel me fit grand
mal, d’autant que la petite Hélix resurgit dans ma remembrance, dont je tâchai
aussitôt de la chasser pour non point m’aigrir de sa disparition aussi durement
que j’avais fait à sa mort. Hélas, la pauvrette hors de ma tête, Mespech y
resta, avec son grand étang, ses vertes prairies, ses riantes collines, et dans
le cœur et la gorge un grand serrement, tant la chaleur de mon nid tout soudain
me fit faute, et la douceur de mon petit pays.
    Chose étrange, point seulement me
manquèrent alors mon père (en tout mon modèle et mon héros), l’oncle
Sauveterre, ma petite sœur Catherine, mes deux cousins Siorac, tant niais et
gentils, mais les murs eux-mêmes, les tours, les mâchicoulis, le châtelet
d’entrée, les courtines, et allant, venant, jamais désoccupés, jamais avares de
proverbes et de gausseries, nos gens de la châtellenie. Ha certes ! Je leur
manquais aussi, je gage ! Car presque tous m’avaient vu naître, et bien
plus que mon grand niquedouille d’aîné, qu’ils jugeaient hautain et lointain,
j’étais le prince en cette maison, ayant le parler facile, le rire franc et les
manières aimables de mon père.
    Qu’on me pardonne de les nommer dans
cet écrit comme je les nommai alors dans mon cœur : Jonas le carrier,
Petremol et Escorgol, les tard venus, Cabusse, mon maître d’armes, Faujanet
(que dans le Périgord nous appelons Faujanette), Coulondre Bras-de-fer –
ces trois derniers anciens soldats de nos légions, pour ne pas mentionner notre
pauvre Marsal le Bigle, tué d’une arquebusade au combat de la Lendrevie. Tous,
bonnes et solides gens, y compris leurs gentilles garces : la Cathau de
Cabusse, la Sarrazine de Jonas, la Jacotte de Coulondre ; et au château,
ma belle et douce Barberine, la clabaudeuse Maligou, sa fille la Gavachette,
tant jeunette et jolie, notre sévère Alazaïs (qui avait la force de deux
hommes, sans compter la force morale), Franchou, à qui le Ciel, ce me semble,
avait donné mission de maintenir mon père en la verdeur de sa vieillesse.
    Ha Seigneur ! Que je me sentis
nu, à cet instant, sans eux, et seul, et démuni, moi sur qui reposait le
commandement de notre jeune troupe en cette périlleuse chevauchée !
    De cette mélancolie – fort
étrange, à la vérité, puisqu’elle était issue tout entière d’un présent de
gâteaux – me tira le page Rouen. Il vint au botte à botte avec moi, le
cheveu rouge et roide, et sans capuche ni bonnet malgré le fort soleil de ce
juin. Son œil vert, qui tant riait en ses farces, fort gravement fixé sur moi,
il me demanda à voix basse permission de m’entretenir. Je fis signe de

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