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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fâchée. Ceci est
pour la montre, et non pour la commune usance.
    Miroul pinça ici sa corde deux ou
trois fois en écho ironique, et l’alberguière rit à gueule bec en nous
regardant l’un et l’autre d’un air fort entendu.
    — Si cette grande caquetade est
finie, dit Samson non sans impatience, je voudrais m’aller coucher.
    — Mais vous ne me gênez
point ! dit l’alberguière, toute dévergognée. Si le dessous répond
au-dessus, j’aurais plaisir à vous voir tel que le Seigneur vous fit.
    — Fi donc, commère ! dit
Samson en rougissant et en lui tournant le dos.
    — Là ! Là ! dit
l’alberguière, que voilà d’étranges gentilshommes ! L’un est trop chaud,
l’autre est trop froid, et le valet a les yeux vairons. J’ai cependant une
autre requête à vous faire, reprit-elle en cessant pour un temps de se
trémousser. Mon noble Moussu, je vous ai ouï ce matin jargonner avec votre
frère dans un galimatias qui m’a paru être le français de France.
    — Eh quoi ? dis-je, vous
ne l’entendez point ?
    — Nous ne parlons que d’oc ici,
dit l’alberguière, comme vous-même, Moussu, quoiqu’avec des mots et un accent
différents. Sachez-le, il n’est pas drole ni drolette dans la rue de la
Mazelerie, qui comprenne le français de France, ni qui sache le lire, et
l’écrire moins encore. Cependant, dit-elle en se redressant avec fierté, je
sais mes chiffres.
    — Jamais chiffre ne fault à
alberguière ! dis-je en riant. Mais commère, repris-je, dites-moi sans
ambages que vous voulez de mon truchement pour ce Baron normand.
    — Mais c’est cela ! dit
l’alberguière.
    — Je vous suis donc, dis-je, et
de la main poussant dehors la rondelette, je refermai la porte derrière moi,
fort aise d’échapper au regard de Samson.
    À la suite de l’alberguière, je
m’engageai alors dans un escalier fort sombre et fort tournant.
    — Ce puissant Baron, me souffla
l’alberguière dans l’obscurité, se nomme Caudebec. Par la Vierge, mon noble
Moussu, cessez de me pouitrer ! Suis-je pâte de pain pour être ainsi
pétrie ?
    — Est-ce ma faute, dis-je, si
votre escalier est aussi sombre que vaches noires en bois brûlé ? Ne
faut-il pas bien que je m’accroche ?
    — Là ! Là ! Par saint
Joseph, accrochez-vous ailleurs ! Ha certes ! Je vois bien maintenant
que vous êtes bon chrétien et non de ces méchants hérétiques qui veulent nous
interdire nos danses, nos jeux et les fêtes de nos saints. La peste emporte ces
pisse-froid !
    — Comment appelez-vous ce
Normand ? dis-je sans lui vouloir répondre, et au lieu de cela la
baisotant au col et en haut des tétins.
    — Caudebec. Ramentevez-vous
bien ce nom : Caudebec. Ce Seigneur est si haut qu’il n’aime point qu’on
ne sache pas qui il est.
    — Caudebec, dis-je.
    — Chaudebec vous-même !
dit-elle en riant et se tortillant. Par tous les saints, vos lèvres et vos
mains sont partout ! Vous me poutounez à mourir ! Me voici plus folle
que chatte ! Cessez, de grâce ! J’ai grand ouvrage aux cuisines avec
ces pieux pèlerins !
    Mais comme je n’avais garde de lui
obéir, sentant combien son dépit était feint, elle me bailla dans la poitrine
une bourrade qui me fit choir et elle avec, tant je la tenais accolée :
dévalade qui fit grand bruit sur les dernières marches de bois, et d’autant que
régnait à cet instant dans la salle parmi les pèlerins un merveilleux silence,
un moine debout achevant de réciter le bénédicité. Et comme nos
pèlerins, point trop recueillis, mimant la chatte mine, mais louchant sur les
plats, ne faisaient rien tant que d’attendre d’être délivrés de ce latin par un
« Amen », se fit alors le fracas de notre chute, et l’apparition
toute soudaine au bas de l’escalier de l’alberguière et de moi, tombant et
roulant l’un sur l’autre, ou plutôt moi sur elle, ce qui fut à mon très grand
avantage, la bonne garce étant si rembourrée. Voyant quoi, ces pèlerins
normands, étant gens fort joyeux et jaseurs, se mirent à rire tous ensemble
comme un tas de mouches.
    — Silence ! cria, au bout
de la table, d’une voix tonnante, le Baron de Caudebec, tapant du plat de sa
forte main sur la table de chêne. N’avez-vous point vergogne de troubler par
vos ris une sainte oraison, pour ce qu’une garce choit devant vous, cul
par-dessus tête ! Sanguienne ! Est-ce là se conduire en pieux pèlerins
qui s’en vont à Rome ? Êtes-vous

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