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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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l'auditoire et s'élança dehors.
    Il faisait nuit noire ; à la hauteur d'un premier étage, un oeil de boeuf ouvert dans le mur de l'église trouait les ténèbres d'une lune rouge.
    Durtal tira quelques bouffées d'une cigarette, puis il s'achemina vers la chapelle. Il tourna doucement le loquet de la porte ; le vestibule où il pénétrait était sombre, mais la rotonde, bien qu'elle fût vide, était illuminée par de nombreuses lampes.
    Il fit un pas, se signa et recula, car il venait de heurter un corps ; il regarda à ses pieds.
    Il entrait sur un champ de bataille.
    Par terre, des formes humaines étaient couchées dans des attitudes de combattants fauchés par la mitraille ; les unes à plat ventre, les autres à genoux ; celles-ci, affaissées les mains par terre, comme frappées dans le dos, celles-là étendues les doigts crispés sur la poitrine, celles-là encore se tenant la tête ou tendant les bras.
    Et, de ce groupe d'agonisants, ne s'élevaient aucun gémissement, aucune plainte.
    Durtal contemplait, stupéfié, ce massacre de moines ; et il resta soudain bouche béante. Une écharpe de 2 lumière tombait d'une lampe que le père sacristain venait de déplacer dans la rotonde et, traversant le porche, elle éclairait un moine à genoux devant l'autel voué à la Vierge.
    C'était un vieillard de plus de quatre-vingt ans ; il était immobile ainsi qu'une statue, les yeux fixes, penché dans un tel élan d'adoration que toutes les figures extasiées des primitifs paraissaient, près de la sienne, efforcées et froides.
    Le masque était pourtant vulgaire ; le crâne ras, sans couronne, hâlé par tous les soleils et par toutes les pluies, avait le ton des briques ; l'oeil était voilé, couvert d'une taie par l'âge ; le visage plissé, ratatiné, culotté tel qu'un vieux buis, s'enfonçait dans un taillis de poils blancs et le nez un peu camus achevait de rendre singulièrement commun l'ensemble de cette face.
    Et il sortait, non des yeux, non de la bouche, mais de partout et de nulle part, une sorte d'angélité qui se diffusait sur cette tête, qui enveloppait tout ce pauvre corps courbé dans un tas de loques.
    Chez ce vieillard, l'âme ne se donnait même pas la peine de réformer la physionomie, de l'ennoblir ; elle se contentait de l'annihiler, en rayonnant ; c'était, en quelque sorte, le nimbe des anciens saints ne demeurant plus autour du chef, mais s'étendant sur tous ses traits, baignant, apâli, presque invisible, tout son être.
    Et il ne voyait ni n'entendait rien ; des moines se traînaient sur les genoux, venaient pour se réchauffer, pour s'abriter auprès de lui et il ne bougeait, muet et sourd, assez rigide pour qu'on pût le croire mort, si, par instant, la lèvre inférieure n'eût remué, soulevant dans ce mouvement sa grande barbe.
    L'aube blanchit les vitres et, dans l'obscurité qui commençait à se dissiper, les autres frères apparurent à leur tour, à Durtal ; tous ces blessés de l'amour divin priaient ardemment, jaillissaient hors d'eux-mêmes, sans bruit, devant l'autel. Il y en avait de tout jeunes à genoux et le buste droit, d'autres, les prunelles en extase, repliés en arrière et assis sur leurs talons, d'autres encore faisaient le chemin de croix et souvent ils étaient posés, les uns devant les autres, face à face et ils se regardaient sans se voir, avec des yeux d'aveugles.
    Et parmi ces convers, quelques pères, ensevelis dans leurs grandes coules blanches, gisaient, prosternés, baisaient la terre.
    Oh ! prier, prier comme ces moines ! s'écria Durtal.
    Il sentait son malheureux être se détendre ; dans cette atmosphère de sainteté, il se dénoua et il s'affaissa sur les dalles, demandant humblement pardon au Christ de souiller par sa présence la pureté de ce lieu.
    Et il pria longtemps, se descellant pour la première fois, se reconnaissant si indigne, si vil, qu'il ne pouvait comprendre comment, malgré sa miséricorde, le seigneur le tolérait dans le petit cercle de ses élus ; il s'examina, vit clair, s'avoua qu'il était inférieur au dernier de ces convers qui ne savait peut-être même pas épeler un livre, comprit que la culture de l'esprit n'était rien et que la culture de l'âme était tout, et peu à peu, sans s'en apercevoir, ne pensant plus qu'à balbutier des actes de gratitude, il disparut de la chapelle, l'âme emmenée par celles des autres, hors du monde, loin de son charnier, loin de son corps.
    Dans cette

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