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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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n'aie pas de névralgies, demain, et que je m' éveille avant l'aube !
    q

Chapitre 2
    I l vécut la plus épouvantable des nuits ; ce fut si spécial, si affreux, qu'il ne se rappelait pas, pendant toute son existence, avoir enduré de pareilles angoisses, subi de semblables transes.
    Ce fut une succession ininterrompue de réveils en sursaut et de cauchemars.
    Et ces cauchemars dépassèrent les limites des abominations que les démences les plus périlleuses rêvent. Ils se déroulaient sur les territoires de la luxure et ils étaient si particuliers, si nouveaux pour lui, qu'en se réveillant, Durtal restait tremblant, retenait un cri.
    Ce n'était plus du tout l'acte involontaire et connu, la vision qui cesse juste au moment où l'homme endormi étreint la forme amoureuse et va se fondre en elle ; c'était ainsi et mieux que dans la nature, long, complet, accompagné de tous les préludes, de tous les détails, de toutes les sensations ; et le déclic avait lieu, avec une acuité douloureuse extraordinaire, dans un spasme de détente inouï.
    Et, fait bizarre et qui semblait marquer la différence entre cet état et le stupre inconscient des nuits, c'était, en outre de certains épisodes où des caresses qui ne pourraient que se succéder dans la réalité étaient réunies, au même instant, dans le rêve, la sensation nette, précise, d'un être, d'une forme fluidique disparaissant avec le bruit sec d'une capsule ou d'un coup de fouet, d'auprès de vous, dès le réveil. Cet être, on le sentait distinctement près de soi, si près, que le linge, dérangé par le souffle de sa fuite, ondulait et que l'on regardait, effaré, la place vide.
    Ah ça ! mais, se dit Durtal, quand il eut allumé la bougie ; cela me reporte au temps où je fréquentais Mme Chantelouve ; cela me réfère aux histoires du Succubat.
    Il restait, ahuri, sur son séant, scrutait avec un véritable malaise cette cellule noyée d'ombre. Il consulta sa montre ; il n'était que onze heures du soir. - Mon Dieu, fit-il, si les nuits sont ainsi que celles-là dans les cloîtres !
    Il recourut, pour se remettre, à des affusions d'eau froide, ouvrit la fenêtre pour renouveler l'air et, glacé, se recoucha.
    Il hésitait à souffler la bougie, inquiet de ces ténèbres qui lui paraissaient habitées, pleines d'embûches et de menaces. Il se décida enfin à éteindre et répéta la strophe des Complies que l'on avait chantée, le soir même, à la chapelle :
    Procul recedant somnia Et noctium phantasmata, Hostemque nostrum comprime, Ne polluantur corpora.
    Il finit par s'assoupir, rêva encore d'immondices, mais il se reprit à temps pour rompre le charme, éprouva encore cette impression d'une ombre s'évaporant à temps pour qu'on ne puisse la saisir dans les draps et il interrogea sa montre. Il était deux heures.
    Si cela continue, je serai brisé demain, se dit-il ; il parvint tant bien que mal, en somnolant et en se détirant toutes les dix minutes, à atteindre trois heures.
    Si je me rendors, je ne me réveillerai pas au moment voulu, pensa-t-il ; si je me levais ?
    Et il sauta en bas du lit, s'habilla, pria, mit de l'ordre dans ses affaires.
    D'authentiques excès l'eussent moins abattu que cette fausse équipée, mais ce qui lui semblait surtout odieux, c'était l'inassouvissement que laissait le viol terminé de ces larves. Comparées à leurs avides manigances, les caresses de la femme n'épandaient qu'une volupté tempérée, n'aboutissaient qu'à un faible choc ; seulement dans le succubat l'on restait enragé de n'avoir étreint que le vide, d'avoir été la dupe d'un mensonge, le jouet d'une apparence dont on ne se rappelait même plus les contours et les traits. On en arrivait forcément à désirer de la chair, à souhaiter de presser contre soi un véritable corps et Durtal se mit à songer à Florence ; elle vous désaltérait au moins, ne vous quittait pas ainsi, pantelant et fiévreux, en quête d'on ne savait quoi, dans une atmosphère où l'on était environné, épié, par un inconnu qu'on ne pouvait discerner, par un simulacre que l'on ne pouvait fuir.
    Puis Durtal se secoua, voulut repousser l'assaut de ces souvenirs. Je vais toujours, se dit-il, aller respirer de l'air frais et fumer une cigarette, nous verrons après.
    Il descendit l'escalier dont les murs paraissaient ne 1 pouvoir tenir en place et dansaient avec la lueur de la bougie, enfila les corridors, souffla et déposa son lumignon près de

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