George Sand et ses amis
tête de poète des combats homériques, que je contemple le coeur palpitant, du haut d'une montagne, ou bien au milieu desquels je me précipite sous les pieds des chevaux, ivre d'enthousiasme et de sainte vengeance. Je rêve aussi, après la tempête, un jour nouveau, un lever de soleil magnifique ; des autels parés de fleurs, des législateurs couronnés d'olivier, la dignité de l'homme réhabilitée, l'homme affranchi de la tyrannie de l'homme, la femme de celle de la femme, une tutelle d'amour exercée par le prêtre sur l'homme, une tutelle d'amour exercée par l'homme sur la femme ; un gouvernement qui s'appellerait conseil et non pas domination, persuasion et non pas puissance. En attendant, je chanterai au diapason de ma voix, et mes enseignements seront humbles ; car je suis l'enfant de mon siècle, j'ai subi ses maux, j'ai partagé ses erreurs, j'ai bu à toutes ses sources de vie et de mort, et, si je suis plus fervent que la masse pour désirer son salut, je ne suis pas plus savant qu'elle pour lui enseigner le chemin.
Laissez-moi gémir et prier sur cette Jérusalem qui a perdu ses dieux et qui n'a pas encore salué son messie. Ma vocation est de haïr le mal, d'aimer le bien, de m'agenouiller devant le beau.»
Comment vont se traduire ces maximes en actes ? Et, d'abord, comment le républicanisme de George Sand va-t-il s'adapter à l'éducation de Maurice ? Elle sait que son fils est, au collège Henri IV, camarade du duc de Montpensier, qu'il a été invité aux Tuileries, qu'il est allé chez la reine. Elle s'en émeut : «Tu es encore trop jeune pour que cela tire à conséquence ; mais, à mesure que tu grandiras, tu réfléchiras aux conséquences des liaisons avec les aristocrates. Je crois bien que tu n'es pas très lié avec Sa Majesté et que tu n'es invité que comme faisant partie de la classe de Montpensier. Mais, si tu avais dix ans de plus, tes opinions te défendraient d'accepter ces invitations.»
Elle le met en garde contre les séductions de la cour, contre les sortilèges de la puissance : «Les amusements que Montpensier t'offre sont déjà des faveurs. Songes-y ! Heureusement elles ne t'engagent à rien ; mais, s'il arrivait qu'on te fit, devant lui, quelque question sur tes opinions, tu répondrais, j'espère, comme il convient à un enfant, que tu ne peux pas en avoir encore ; tu ajouterais, j'en suis sûre, comme il convient à un homme, que tu es républicain de race et de nature ; c'est-à-dire qu'on t'a enseigné déjà à désirer l'égalité, et que ton coeur se sent disposé à ne croire qu'à cette justice-là. La crainte de mécontenter le prince ne t'arrêterait pas, je pense. Si, pour un diner ou un bal, tu étais capable de le flatter, ou seulement si tu craignais de lui déplaire par ta franchise, ce serait déjà une grande lâcheté.»
Toutefois elle l'incite à s'abstenir d'une arrogance déplacée, à ne dire, devant Montpensier, ni du mal de son père : ce serait une espèce de crime-ni du bien : ce serait vendre sa conscience. Bref, Maurice devra éviter, à la cour, d'appeler Louis-Philippe la Poire, selon l'expression que George Sand emploie au courant de la plume. Mais qu'il se garde de toute familiarité, de tout abandon avec les princes ! «Ce sont nos ennemis naturels, et, quelque bon que puisse être l'enfant d'un roi, il est destiné à être tyran. Nous sommes destinés à être avilis, repoussés ou persécutés par lui. Ne te laisse donc pas trop éblouir par les bons dîners et par les fêtes. Sois un vieux Romain de bonne heure, c'est-à-dire, fier, prudent, sobre, ennemi des plaisirs qui coûtent l'honneur et la sincérité.» Et Maurice lui répond : «Montpensier m'a invité à son bal, malgré mes opinions politiques. Je m'y suis bien amusé. Il nous a tous fait cracher avec lui sur la tête des gardes nationaux.» On ne s'ennuyait pas à un gala du roi-citoyen.
Voilà cette correspondance extraordinaire que George Sand recommandait à son fils de garder secrète, sans la montrer jamais à son père et même sans lui en parler. «Tu sais, ajoutait-elle, que ses opinions diffèrent des miennes. Tu dois écouter avec respect tout ce qu'il te dira ; mais ta conscience est libre et tu choisiras, entre ses idées et les miennes, celles qui te paraîtront meilleures. Je ne te demanderai jamais ce qu'il te dit ; tu ne dois pas non plus lui faire part de ce que je t'écris.» Aussi a-t-elle soin de ne point envoyer ses lettres
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