George Sand
reposerons avec elle de toutes les agitations et de toutes les haines ; la douce lumière, un peu voilée, de la campagne natale finira par éclipser l'éclat fiévreux du réformateur, le rêve enflammé du poète humanitaire.
N'est-ce pas là précisément le cercle parcouru par Mme Sand, et cette page de biographie intime n'est-elle pas l'histoire en raccourci de ses oeuvres ?
I
La première période de sa vie littéraire est toute au lyrisme spontané, personnel. Et comme je voudrais faire ici un tableau non de fantaisie, mais d'histoire, avec la précision relative que comportent ces sortes de divisions d'un caractère tout psychologique, je crois pouvoir étendre cette première période de 1832 à 1840 environ. Dans cet intervalle de neuf années paraissent, coup sur coup, les chefs-d'oeuvre de la première manière, Indiana, Valentine, Jacques, André, Mauprat, Lélia et la charmante série des contes vénitiens [Citons les dates des principaux romans : En 1832, Indiana, Valentine ; en 1833, Lélia ; en 1834, les Lettres d'un voyageur et Jacques ; en 1835, André et Leone Leoni ; de 1833 à 1838, le Secrétaire intime, Lavinia, Metella, Mattea, la Dernière Aldini ; Mauprat fut écrit à Nohant en 1836, au moment où Mme Sand venait de plaider en séparation. Ces rapprochements éclairent la pensée de l'auteur.].
Rappelons rapidement le sujet des oeuvres principales. Nous verrons qu'elles procèdent toutes d'un fonds commun d'émotions et de douleurs personnelles, sans être pourtant la confidence et le récit de sa vie. Mme Sand a toujours protesté contre les applications trop strictement biographiques qui ont été faites de ses premiers romans.
Cependant il faut s'entendre sur ce point délicat. Indiana, elle nous l'assure, n'est pas son histoire dévoilée. C'était du moins l'expression de ses réflexions habituelles, de ses agitations morales, d'une partie de ses souffrances réelles ou factices ; ce n'était pas sa vie, soit, c'était le roman ou le drame de sa vie, tel qu'elle l'avait conçu sous les ombrages de Nohant. Que ce ne fût pas, je veux le croire, une plainte formulée contre son maître particulier, c'était du moins une protestation contre la tyrannie dans le mariage, personnifiée par le colonel Delmare.
C'était aussi la conception, l'idéal d'une femme aimante, telle qu'elle l'imaginait alors ; c'est pour son propre compte qu'elle s'intéressait à la peinture d'un amour naïf et profond, exalté et sincère, passionné et chaste, que sa naïveté même trahit, que sa sincérité livre en proie et sans autre défense que le hasard à l'égoïsme voluptueux et féroce d'un homme du monde, et que sauve enfin du dernier désespoir un coeur héroïquement silencieux, un coeur digne d'elle, digne de la réconcilier avec la vie et l'amitié.—Valentine recommence, avec des détails ravissants et une poésie incomparable, ce thème du mariage impie et malheureux que les convenances sacrilèges du monde ont imposé, et qui traîne à sa suite les plus lamentables et tragiques douleurs, le réveil violent de la nature et du coeur, les ardeurs fatales, les tentations plus fortes que la volonté, la famille déshonorée, une noble maison brisée, un foyer anéanti.—Jacques, c'est son idéal de l'amour dans l'homme (comme Indiana est son idéal de l'amour dans la femme) ; c'est un stoïcien devenu amoureux avec la profondeur et l'élévation qu'un stoïcien peut mettre dans ces sortes de choses, avec un courage triste jusqu'à la mort dès qu'il pressent une faiblesse ou une trahison, un dévoué qui abdique sans éclat tous ses droits et se résigne au suicide pour épargner à Fernande, adorée jusque dans sa faute, l'humiliation de ses joies coupables et la honte de son bonheur adultère.—L'amour dans une nature gracieuse et faible qu'il exalte et qu'il brise, l'amour encore, mais dans une nature sauvage qu'il dompte et qu'il élève à la plus haute éducation de l'intelligence et du coeur, ce sont deux rêves sur les effets divers de la grande passion, c'est André, c'est Mauprat.—Lélia ! Qui ne se rappelle toujours, après l'avoir lu une fois, ce poème étrange, incohérent, magnifique et absurde, où le spiritualisme tombe si bas, où la sensualité aspire si haut, où le désespoir déclame en si beau style, où l'esprit, ravi, étonné, scandalisé, passe brusquement d'une scène de débauche à une prière sublime, où l'inspiration la plus fantasque s'élance de
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