George Sand
disposer ; c'est qu'il ne l'accorde pas plus qu'il ne l'ôte par un acte de sa volonté ; c'est que le coeur humain le reçoit d'en haut sans doute pour le reporter sur la créature choisie entre toutes dans les desseins du ciel ; et quand une âme énergique l'a reçu, c'est en vain que toutes les considérations humaines élèveraient la voix pour le détruire ; il subsiste seul et par sa propre puissance. Tous ces auxiliaires qu'on lui donne, ou plutôt qu'il attire à soi, l'amitié, la confiance, la sympathie, l'estime même, ne sont que des alliés subalternes ; il les a créés, il les domine, il leur survit.» Et, quelques lignes plus loin, elle ajoute : «La suprême Providence, qui est partout en dépit des hommes, n'avait-elle pas présidé à ce rapprochement ? L'un était nécessaire à l'autre : Bénédict à Valentine, pour lui faire connaître ces émotions sans lesquelles la vie est incomplète ; Valentine à Bénédict, pour apporter le repos et la consolation dans une vie orageuse et tourmentée. Mais la société se trouvait là entre eux, qui rendait ce choix absurde, coupable, impie ! La Providence a fait l'ordre admirable de la nature, les hommes l'ont détruit ; à qui la faute ?» Qu'il y ait une prédestination divine entre Bénédict et Valentine, j'ai peine à le croire, mais que Dieu intervienne exprès pour autoriser jusqu'aux inconstances du coeur, voilà ce que je ne peux, en conscience, accorder à Jacques.
«Je n'ai jamais travaillé mon imagination, dit-il, pour allumer ou ranimer en moi le sentiment qui n'y était pas encore ou celui qui n'y était plus ; je ne me suis jamais imposé la constance comme un rôle. Quand j'ai senti l'amour s'éteindre, je l'ai dit sans honte et sans remords, et j'ai obéi à la Providence qui m'attirait ailleurs.» La singulière fonction pour la Providence, d'appeler Jacques à de nouvelles amours ! Du reste, Jacques fait des prosélytes à sa doctrine, sa femme la première. Car, plus tard, lorsque sa femme le trahit, c'est religieusement, si je puis dire. On n'avait jamais poussé la piété si avant dans l'adultère. Imaginez, pour consacrer son bonheur, le projet que forme l'aimable Fernande. «O mon cher Octave ! écrit-elle à son amant, nous ne passerons jamais une nuit ensemble sans nous agenouiller et sans prier pour Jacques.» Voilà un mari bien consolé.
On ne doit pas s'étonner, d'après cela, si les héros de Mme Sand croient rendre à Dieu une sorte de culte en cédant à l'amour. Les amants prennent tout à coup, dans leurs extases, des airs d'inspirés. Quand ils racontent leurs joies, c'est avec une sorte d'exaltation pieuse. Ils semblent voir là quelque chose comme des rites sacrés, où ils apportent un orgueil attendri. Ce ne sont plus des amants, ce sont des grands prêtres.
De quel ton religieux Valreg raconte l'invraisemblable bonheur qui lui est arrivé, le mensonge bizarre et l'héroïsme cynique par lequel la Daniella s'est livrée à lui ! Je n'insisterai pas, je veux seulement indiquer la note qui domine dans cette étrange action de grâces. Les métaphores les plus mystiques se pressent sous sa plume délirante. «Une vierge sage calomniant sa pureté, éteignant sa lampe comme une vierge folle, pour rassurer la mauvaise et lâche conscience de celui qu'elle aime et qui la méconnaît ! Mais c'est un rêve que je fais !...
Je suis dans un état surnaturel... Je me trouve tel que Dieu m'a fait. L'amour primordial, le principal effluve de la divinité s'est répandu dans l'air que je respire ; ma poitrine s'en est remplie... C'est comme un fluide nouveau qui le pénètre et qui le vivifie... Je vis enfin par ce sens intellectuel qui voit, entend et comprend, un ordre de choses immuable, qui coopère sciemment à l'oeuvre sans fin et sans limites de la vie supérieure, de la vie en Dieu», etc., etc. Ce n'est plus seulement un apôtre de l'amour, c'est un illuminé.
Venant de Dieu, l'amour est sacré. Y céder, c'est faire acte pie ; y résister serait un sacrilège ; le blâmer dans les autres, une impiété. Le voeu de la nature, n'est-ce pas l'appel même de Dieu à ces élus d'une nouvelle espèce ? Est-il besoin d'ajouter que l'amour se légitime par lui-même ? Il est irresponsable, puisqu'il est divin. Les égarements qu'il amène rencontrent dans l'auteur et dans ses principaux personnages la plus large indulgence, la sympathie la plus illimitée : «Marthe, dit Eugénie (dans le roman
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