Hamilcar, Le lion des sables
Gadès.
— Pourquoi
me la refuserait-il ?
— Parce
qu’un oracle est indispensable à la prospérité et à la renommée d’un
sanctuaire. Il a sans doute entendu parler de tes dons et il doit nourrir
quelques projets à ton sujet pour remplir d’or les caisses de son temple. Je
suis sûr que tu l’as déjà remarqué et que cela n’est pas étranger à ton désir
de quitter Carthage. Car tu n’entends pas être l’instrument de ses ambitions.
Suis-je dans l’erreur ?
— Toi
aussi, tu es capable de lire dans le cœur des hommes.
— À
ma manière. J’enverrai tout à l’heure quelques-uns de mes hommes offrir des
sacrifices à Baal Hammon. Les prêtres se précipiteront sur eux pour leur offrir
leurs services moyennant quelques pièces sonnantes et trébuchantes. Profite
alors du désordre pour t’esquiver. L’un de mes soldats t’attendra en dehors de
l’enceinte du sanctuaire avec une tenue d’homme de troupe que tu revêtiras. Je
te dirai quand tu pourras porter à nouveau ta robe de lin blanc. Ah, un détail,
tu devras aussi chausser des sandales de cuir car tes pieds nus révéleraient
ton identité. Essaie de faire bonne contenance et de ne pas trébucher en
marchant car nous avons une longue route à parcourir jusqu’à Gadès.
— On
m’avait dit beaucoup de choses des Barca mais, désormais, je sais que la
principale vertu de ton illustre famille est la générosité. Quand je songe à
l’esprit étriqué de bon nombre de nos plus illustres concitoyens, je me dis que
vous êtes, plus que nous les prêtres, les meilleurs gardiens du véritable
esprit de Carthage.
— Prends
garde à toi, Azarbaal, tu ne prédis plus, tu flattes et je n’aime guère cela.
Il est temps maintenant de nous séparer. Nous nous retrouverons prochainement.
Pour l’heure, je dois aller voir le grand prêtre.
— Pour
me dénoncer ?
— Décidément,
tu es bien piètre oracle et tu auras besoin des leçons de celui de Gadès. Non,
j’irai le voir pour me plaindre de toi. De la sorte, personne ne pourra
imaginer que tu es parti avec moi.
***
Hamilcar
rejoignit dans la soirée ses troupes stationnées en dehors de la ville. Par
petites étapes, lui et ses hommes, après avoir dépassé Sicca, s’enfoncèrent en
plein cœur du pays numide. Les éclaireurs envoyés en avant-garde rencontrèrent
bientôt une troupe de cavaliers commandés par Nahrawas. Un officier
carthaginois, avec lequel il avait combattu durant la guerre inexpiable, le
reconnut et le salua chaleureusement :
— Je
suis heureux de te revoir et Hamilcar ne manquera pas d’être sensible à
l’honneur que tu lui fais en te présentant à nous.
— Je
te demande de l’avertir que mon frère Juba souhaite le recevoir, lui et sa
suite, dans son palais. Vos hommes pourront planter leurs tentes dans la
campagne voisine. L’un de mes soldats vous indiquera un endroit où l’eau coule
en abondance. Des vivres vous seront apportés en quantités suffisantes.
— Je
te remercie de ton hospitalité digne d’un véritable allié de Carthage. Qui nous
guidera jusqu’à votre cité ?
— Installez
en toute quiétude votre campement. L’un de mes cavaliers viendra chercher, le
temps venu, le fils d’Adonibaal et ses compagnons.
Épuisés
par une longue marche sous un soleil brûlant, les soldats savourèrent la
possibilité de prendre un peu de repos. Bientôt, l’on vit, derrière un océan de
toiles dressées, les cuisiniers attiser de grands feux cependant que des
chariots chargés de vivres arrivaient en provenance du palais royal. Quand le
soleil commença à décliner, un Numide se présenta à l’entrée du camp. Hamilcar,
suivi d’une dizaine d’officiers, chevaucha derrière lui. Au sortir d’un défilé,
il eut le souffle coupé d’admiration : un piton rocheux protégé par des
gorges profondes se dressait devant lui et était relié au plateau par un pont
dont l’édification avait dû coûter la vie à des centaines d’hommes. La cité
bâtie au flanc de la montagne n’était pas aussi luxueuse que Carthage mais les
maisons, faites d’énormes blocs de pierre, paraissaient être confortables. Dans
les rues, les rares passants regardaient à peine les soldats étrangers, des êtres
trop curieux pour qu’on puisse y prêter attention. La troupe déboucha sur une
vaste place à l’extrémité de laquelle se trouvait le palais royal, un bâtiment
imposant entouré d’un élégant portique
Weitere Kostenlose Bücher