Haute-savane
fouet meurtrier et d’un magistral coup de poing l’avait envoyé mordre la poussière.
Étourdi par la violence du coup, l’homme resta étendu un instant mais, déjà, son compagnon accourait, le fouet haut, prêt à l’abattre sur l’imprudent qui osait s’interposer entre eux et leur sinistre justice. Froidement, alors, Gilles tira son pistolet, le braqua dans la direction de l’homme qui arrivait sur lui.
— Jette ça ! ordonnait-il. Sinon, je te loge une balle entre les deux yeux.
Le surveillant s’arrêta net, exactement comme si la balle annoncée l’avait touché. Le fouet tomba de son poing. Pendant ce temps, l’autre se secouait, cherchant à retrouver ses esprits pour se relever.
— De quoi vous vous mêlez ? grogna-t-il. Attendez un peu que le patron apprenne qu’un foutu étranger a osé…
— Le patron, c’est moi ! Je suis le nouveau maître de cette plantation et vous allez apprendre rapidement que je suis un maître qui entend être obéi. Comment vous appelez-vous ?
Les deux hommes se regardèrent. Celui qui était debout vint aider celui qui était à terre à se relever mais le pistolet était toujours braqué sur eux et Gilles vit la peur passer dans leurs yeux.
— Moi, c’est Labroche, lui, c’est Tonton… vous êtes vraiment le nouveau patron ?
— Il n’y a aucun doute là-dessus, fit la voix traînante de Finnegan qui avait lui aussi franchi la haie. Vous avez devant vous le chevalier de Tournemine et il est, le plus régulièrement du monde, le maître de « Haute-Savane ». Alors, je vous conseille d’obéir.
Celui qui s’appelait Labroche haussa les épaules et remonta la ceinture de son pantalon.
— On demande pas mieux mais on voit pas pourquoi le maître a frappé Tonton. On ne fait rien d’autre que notre boulot tout juste comme m’sieur Legros, le gérant, l’ordonne. Ce sont tous des bourriques, ces moricauds. Y connaissent que le fouet…
— Dites que vous, vous ne connaissez que ça ! Ces malheureux tiennent à peine debout. Jetez donc un coup d’œil à cette femme, docteur… Il faut la soigner.
Finnegan n’eut besoin que d’un instant d’examen.
— C’est inutile ! Elle est morte. Le cœur a lâché.
— Alors, vous deux, vous allez ramener cette équipe à ses cases, les faire reposer et leur donner à manger. Vous entendez ? À manger et tout de suite !
— Et le désherbage, alors ? osa Labroche avec insolence. Qui c’est qui va le faire ? Nous ?
— Pourquoi pas ? Ça pourrait parfaitement venir si mes ordres ne sont pas exécutés à la lettre ! Allez ! Ramenez ces vieux et ces femmes ! Demain vous mettrez au désherbage une équipe plus solide. Et plus question de les faire marcher à coups de fouet, vous entendez ? Allons, faites-leur arrêter ce travail…
Car, dans leur terreur constante, les esclaves, en dépit de l’intérêt que représentait pour eux la scène qui venait de se dérouler, n’avaient pas interrompu un instant leur ouvrage. Ceux qui venaient après la vieille femme abattue avaient simplement enjambé son corps. Mais ils se figèrent tous, aussi immobiles que des statues, au coup de sifflet du surveillant. Et il fallut un autre ordre pour qu’ils se missent en marche vers leur cantonnement, emportant à plusieurs la dépouille de leur compagne.
Les fouets qu’il avait ramassés entre les mains, Gilles regarda le lamentable cortège, conduit par ses deux surveillants, disparaître derrière le rideau de citronniers vers les quartiers habités. Puis tendant les longues tresses de cuir à Pongo, il lui dit :
— Emporte ça ! On brûlera ces horreurs. J’entends n’avoir que des serviteurs bien traités.
— J’espère, dit Finnegan, que vous n’avez pas dans l’idée un affranchissement massif de tous vos esclaves ? Ce serait une folie car beaucoup ne sont pas prêts à accepter une totale liberté. Ce sont, pour la plupart, des enfants craintifs mais d’autres sont de vrais sauvages, des brutes affamées de vengeance et qui peuvent être sanguinaires.
— Chacun sera traité selon ses mérites et ses capacités. Croyez-moi, je saurai châtier qui mettra en danger l’ordre et la tranquillité de la plantation. J’achèterai même d’autres esclaves si les besoins de la culture l’exigent mais ils ne connaîtront ni le fouet ni la torture. En contrepartie, j’abattrai sans pitié les brutes dangereuses. N’est-il pas possible de n’avoir que des
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