Haute-savane
morts peuvent reparaître… que M. de Ferronnet a bien été assassiné, en effet, et a été très chrétiennement enterré. Pourtant j’en sais qui l’ont vu, de leurs yeux vu, travailler comme un esclave sur la terre d’une vieille négresse dans un coin perdu du Gros Morne…
Interloqué, Gilles regarda le notaire comme s’il devenait fou mais il n’y avait sur lui aucune trace de démence. Cet homme croyait chacun des mots qu’il prononçait et sa terreur n’était pas feinte. Le chevalier comprit que sa mise en garde était sincère. D’une manière ou d’une autre Legros et sa sorcière le tenaient en leur pouvoir et il était, à présent, au-delà de tout raisonnement même simpliste. Il eut pitié de lui et cessa de le brutaliser même en paroles.
— Les morts qui reviennent sont de tous les pays, mon pauvre Maublanc. Saint-Domingue n’a pas apporté la mode des revenants…
— Ce ne sont pas des revenants, c’est-à-dire des esprits, des fantômes. Ce sont des cadavres sortis de leur tombe et rendus à une sorte de vie purement végétative par d’infernales pratiques. Et moi qui ne crois pas aux revenants, chevalier, je vous jure que je crois aux zombis car c’est ainsi qu’on appelle ces malheureux privés du repos de la tombe… N’allez pas là-haut, monsieur. Vous y perdrez la vie et peut-être aussi votre âme.
Alors, ouvrant sa chemise, Gilles sortit la croix d’argent, cadeau d’adieu de son parrain, l’abbé de Talhouet, qui pendait sur sa poitrine.
— Mon âme n’a rien à craindre, notaire. Je combattrai votre Legros avec mes armes terrestres et les maléfices de sa sorcière avec cela ! Êtes-vous chrétien ?
L’autre haussa ses lourdes épaules.
— Autant qu’on peut l’être ici. Nous n’avons guère de prêtres et ils ne valent pas cher. Dieu paraît si loin de nous…
Un violent coup de tonnerre lui coupa la parole, roulant longuement sur la ville, précédant de peu un éclair verdâtre et les trombes d’eau que le ciel crevé laissait échapper… Gilles referma tranquillement sa chemise.
— Pas si loin que ça ! On dirait, ma parole, qu’il vous a répondu. Quant à moi, sur le nom que je porte je vous jure que je vais nettoyer mon domaine de ses prétendus maléfices, par le fer et le feu s’il le faut. À bientôt, cher notaire. Allez donc continuer votre déjeuner. Vous en avez le plus grand besoin…
Raflant les papiers qui le mettaient définitivement en possession de sa plantation et le trousseau de clefs que Maublanc y joignait, Gilles les enferma dans la poche intérieure de son habit, remit à sa ceinture son pistolet, qu’il avait posé sur le bureau, et, se coiffant de son chapeau, il appela Pongo et quitta la maison au milieu des chuchotements effarés des petites servantes qui, tapies derrière les portes, le regardaient passer. Césaire, lui, avait disparu et demeura invisible.
Sous le balcon à l’espagnole où ils avaient attaché leurs chevaux, lui et Pongo trouvèrent Liam Finnegan, Pierre Ménard et seulement trois hommes d’équipage, dont Germain.
— Vous en aviez demandé dix, monsieur, expliqua le second du Gerfaut , mais nous n’avions plus qu’un seul cheval à l’écurie du bateau et je n’ai réussi à en acheter que quatre. J’ai pensé qu’il était inutile que les autres viennent à moins que vous ne souhaitiez qu’ils fassent dix lieues à pied…
— Certainement pas et vous avez bien fait. À présent, messieurs, en selle. Vous connaissez le chemin, je crois, docteur ?
— Par cœur. Ce n’est d’ailleurs pas très difficile. Vos terres se trouvent sur le Limbé, adossées au Morne Rouge, non loin de la mer et de Port-Margot. N’importe qui vous aurait indiqué le chemin.
Sous la pluie qui roulait de petits torrents dans le caniveau au centre de la rue, la petite troupe se mit en marche. Les éclairs succédaient aux éclairs et le tonnerre semblait rouler autour du Cap-Français comme un chariot d’enfer lancé à fond de train. Les rues étaient vides. Seuls, quelques mendiants, mal abrités sous les flamboyants pleurant leurs fleurs pourpres avec l’eau du ciel ou sous les balcons, demeuraient là subissant stoïquement le déluge. Le gris du ciel semblait installé là pour l’éternité…
Bientôt, les dernières maisons de la ville furent dépassées.
Au-delà, la campagne était magnifique. La plaine d’abord où les « jardins à sucre » et les plantations de coton
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