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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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se succédaient, entourant de vastes « habitations » basses, blanchies à la chaux le plus souvent et qui, avec leurs dépendances, leurs ateliers, leurs moulins à sucre ou leurs égreneuses formaient autant de minuscules villages posés aux intersections des canaux d’irrigation. En dépit de l’orage, des esclaves noirs travaillaient sur ces terres, le dos rond sous l’averse, coupant les grandes cannes feuillues qui s’abattaient avec un bruit de soie froissée, les emportant vers les moulins. Puis ce furent des prairies où le bétail lui aussi subissait stoïquement la douche et enfin des collines couvertes d’épaisses forêts où le cèdre et l’acajou voisinaient avec le latanier, l’oranger et le bananier.
    En dépit du temps affreux qui brouillait toutes choses comme un lavis trop mouillé, Gilles pensait, tout en chevauchant le chapeau sur le nez, qu’il n’avait jamais vu terre évoquant mieux que celle-ci le Paradis terrestre. Ses entrailles fécondes faisaient jaillir à foison d’inestimables richesses capables de contenter des multitudes. Pourquoi fallait-il que ce fût au seul bénéfice de quelques-uns ? De quelques-uns dont il allait faire partie intégrante sans accepter jamais, du moins il l’espérait, d’être des leurs, car le goût profond de la liberté qu’il portait en lui depuis son enfance s’insurgeait, tout naturellement, contre la féroce exploitation de l’homme par l’homme telle qu’elle existait ici.
    Il abordait ce métier si nouveau de planteur – mais le planteur n’était-il pas la forme agrandie du paysan qu’il avait été ? – avec un esprit neuf, un cœur généreux et des yeux qui voulaient voir clair. Aussi les diverses mises en garde qui avaient jalonné son chemin vers « Haute-Savane » ne parvenaient-elles pas à entamer son courage pas plus que sa confiance en son étoile. Legros n’était qu’un homme de chair et de sang et le jeu mortel de la guerre lui avait appris combien pouvaient être fragiles les hommes de chair et de sang. Quant aux malédictions, aux sortilèges rampant dans les brumes du soir, il comptait les affronter sereinement grâce à sa foi en Dieu. Et si son atavisme breton, essentiellement tourné vers l’étrange et le fantastique, donnait une involontaire adhésion à cette bizarre histoire de morts vivants, son courage naturel et son refus farouche de toute forme de terreur quelle qu’elle soit lui faisaient envisager sereinement un combat avec l’impossible.
    Satan, il le savait, car dans sa vie bien courte encore il l’avait plusieurs fois rencontré, pouvait se cacher sous bien des visages. Gilles lui avait vu l’extérieur austère et la bigoterie féroce des moines de l’Inquisition espagnole, l’impitoyable sauvagerie d’un Tudal de Saint-Mélaine, les appétits lubriques d’une future reine d’Espagne et même le visage placide, le goût subtil et les manières policées d’un frère de roi. Qu’il ait ici l’aspect d’un bourreau blanc ou de sorciers noirs était de peu d’importance. Le combat resterait le même et, avec l’aide de Dieu, lui, Tournemine, saurait le tourner à son avantage. Peut-être, après tout, ses meilleures armes seraient-elles la bonté, la miséricorde et la générosité envers ces malheureux êtres déracinés et asservis dans d’affreuses conditions et qui, en faisant appel à leur sombre magie pour lutter contre un sort cruel, ne faisaient, après tout, que se défendre et se venger…
    La pluie, devenue torrentielle, interrompit le cours de ses pensées. Une boue lourde collait aux sabots des chevaux et le moindre ruisseau se gonflait d’eau bouillonnante qui dévalait des pentes et rendait son franchissement plus difficile. Quand on atteignit le Limbé, il fallut renoncer momentanément à franchir la rivière devenue un gros torrent qui eût mis les chevaux en difficulté.
    — Nous ne sommes plus bien loin, dit Finnegan. Arrêtons-nous un instant et buvons quelque chose en attendant que la pluie cesse.
    — Êtes-vous certain qu’elle va cesser ? Je me suis laissé dire qu’en cette saison elle pouvait durer plusieurs jours.
    — Sans doute mais aujourd’hui elle ne devrait pas durer. Ce n’était qu’un très gros orage.
    Au coude de la rivière s’élevait un ajoupa 2 à moitié ruiné qui avait servi jadis à quelque boucanier et devait servir encore si l’on en croyait les traces d’un grand feu encore visibles. La petite troupe s’y

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