Talleyrand, les beautés du diable
La malédiction des crânes
Certaines mauvaises langues ont rapporté que le duc de Morny était mort des suites de l’absorption de trop de pilules de Jenkins, ces petites boulettes aphrodisiaques concoctées à base de cantharide – le Viagra d’antan – qu’il avalait « dans un but que l’on devine », sourit Alphonse Daudet.
Il est vrai que l’homme avait été de tout temps un grand consommateur de chair fraîche.
— C’est bien simple, murmura la jolie Sophie Troubetskoï, son épouse, en agitant le goupillon sur sa tombe au Père-Lachaise, mon mari m’a tellement trompée que je ne sais même pas si mes enfants sont de lui !
Auparavant Sophie s’était appliquée à couper sa longue chevelure bouclée pour la déposer sur la poitrine du défunt, qu’elle avait malgré tout aimé tendrement.
Couvert d’anglaises blondes, Morny reposait donc dans son cercueil.
Mais sans son cerveau !
— C’est vrai, racontèrent les Goncourt, quand on pratiqua son autopsie, on retira sa cervelle de la boîte osseuse. Et comme on n’avait rien sous la main pour remplir le vide, on y bourra des numéros du Figaro et du Petit Journal .
Et Jules et Edmond ne se privèrent pas d’ironiser :
— Bah ! Le contenu de cette tête n’en fut guère changé.
Épuisé d’avoir couru trop de caravanes, Charles Auguste Louis Joseph de Morny expirait donc à cinquante-quatre ans, dans les derniers jours de l’hiver de 1865.
Bien qu’ayant toujours mené un train d’enfer, son grand-père avait été beaucoup plus résistant. Il était mort vingt-sept ans plus tôt, le 17 mai, dans sa quatre-vingt-cinquième année.
Et lui aussi avait été enterré sans sa matière grise.
— Oui, relate Victor Hugo dans ses Choses vues , cet homme est mort, des médecins sont venus, ils ont embaumé le cadavre. Pour cela, à la manière des Égyptiens, ils ont retiré les entrailles du ventre et le cerveau du crâne. La chose faite, après l’avoir transformé en momie et cloué cette momie dans une bière tapissée de satin blanc, ils se sont retirés, laissant sur la table la cervelle, cette cervelle qui avait pensé tant de choses, inspiré tant d’hommes, construit tant d’édifices, conduit deux révolutions, trompé vingt rois, contenu le monde... Les médecins partis, un valet est entré, il a vu ce qu’ils avaient laissé : Tiens ! Ils ont oublié cela. Qu’en faire ? Il s’est alors souvenu qu’il y avait un égout dans la rue, il y est allé et a jeté ce cerveau dans cet égout.
Et quand on songe que le cerveau en question n’était autre que celui de Charles Maurice de Talleyrand-Périgord !
Talleyrand a trompé vingt rois, affirme le poète.
Et nul ne le conteste. Sans doute ces souverains-là méritaient-ils d’être abusés.
Mais vingt têtes couronnées ne sont rien au regard de tous les jolis minois qui ont été séduits, de toutes ces beautés qui ont un jour roulé dans les bras du Diable boiteux.
Les beautés du Diable .
Chapitre un
C’est le pied
Julienne Picot était la fille d’un grand rôtisseur de la rue du Vieux-Colombier, à Paris.
Julienne Picot faisait dans la dentelle. Entendez par là qu’elle était fort experte en point de Malines, de Valenciennes ou de Chantilly. Et quand elle ne poussait pas le fuseau de ses doigts souples, il lui arrivait de rêver. Accoudée à la fenêtre de sa mansarde, comme on peut le faire quand on a quinze ans.
Or, la fenêtre de Julienne, qui donnait sur la rue du Pot-de-Fer – aujourd’hui rue Bonaparte –, lui permettait de plonger sur les bâtiments du séminaire de Saint-Sulpice et d’apercevoir une étonnante croisée au niveau du troisième étage.
C’est dans cette ouverture qu’un matin du mois de mai de 1770 elle eut en effet la surprise de poser son joli regard sur une pancarte couverte de lettres qui, une fois déchiffrées, disaient : « Vous êtes ravissante. »
Elle savait à peu près lire, Julienne, la fille du rôtisseur. Ce qui était tout de même assez rare chez les petites dentellières des années 70 du XVIII e siècle.
Le message suivant, celui qu’elle parvint à décrypter le lendemain ou le surlendemain, était beaucoup plus explicite puisqu’il annonçait clairement : « Je vous aime. »
Et cette déclaration fut bientôt suivie d’une question : « Quand pourrais-je vous embrasser ? »
On n’a ici aucune peine à imaginer l’émotion de la belle enfant. D’autant plus
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