Histoire De France 1715-1723 Volume 17
plus grand. Il sentit que, sous ce brillant échafaudage financier, il fallait une base sérieuse, une grande réforme de l'État. «Tentative insensée? chimère?» Mais il venait de faire ce qu'on eût cru plus chimérique: il avait, en pleine banqueroute, rendu du courage à l'argent. Ses actions montaient d'heure en heure, l'enthousiasme aussi. Tous lui disaient d'oser.
En osant, il hasardait moins. C'est le péril qui le poussa. Rien n'indique que d'avance il eût jamais fait de tels rêves. Hors de France, il n'était qu'un des nombreux utopistes en finances, l'auteur d'une théorie peu remarquée sur le papier-monnaie. En France, où bouillonnait (dans les idées du moins) un chaos de révolution, lui qui planait si haut, ne désespéra pas d'ordonner ce chaos et d'en tirer un monde.
On est saisi d'étonnement de voir tout ce qui s'entreprit en quelques mois de 1719. L'égalité d'instruction, l'égalité d'impôt, une simplification immense, hardie, de l'administration, le remboursement de la dette, plusieurs des réformes excellentes que reprennent plus tard Turgot et Necker, telles furent dans cette année les grandes choses que voulurent Law et le Régent, qu'ils effectuèrent en partie.
Le Régent, qui avait ouvert à tous la Bibliothèque royale, ouvre à tous l'Université (14 avril 1719). Elle est payée par l'État et donne l'enseignement gratuit. Que Villeroi en rie avec son petit roi, à la bonne heure. Mais la révolution est grave. Quels sont lespremiers écoliers qui sortent de là tout à l'heure, le fils du coutelier, le puissant Diderot, un enfant de hasard qu'élève un menuisier, le vaste d'Alembert,—c'est-à-dire l' Encyclopédie .
En juin, Law, suivant les idées du petit Renaut, du meilleur citoyen de France, sollicite l'égalité d'impôt,—l'impôt estimé, non sur le revenu qui varie et qu'on ne voit pas, mais sur ce qui se voit, le fonds, la terre. Ceci aurait atteint les privilégiés plus sérieusement que la Dîme royale de Vauban sur le revenu, plus sûrement que le Dixième essayé vainement par Desmarets. Law, qui voyait les grands propriétaires (les Condés par exemple) être les grands agioteurs, voulait reprendre sur la terre ce qu'on escroquait sur la bourse. S'ils empêchèrent cela, rien ne put empêcher une révolution très-réelle, un mouvement immense d'activité et d'industrie. Ce qu'un chroniqueur de l'an Mille a dit: «La terre changea de vêtement,» on put encore le dire. Depuis vingt ans, la guerre et la misère ayant tout suspendu, on n'achetait plus, on ne vendait plus, on ne fabriquait plus. Tout délabré, et misérable. La France, sous ses oripeaux, n'en avait pas moins l'air d'une mendiante. Elle s'en aperçut, jeta violemment ses lambeaux, ses vieilles loques du vieux temps de sottises.
De tels moments sont grands pour l'industrie. L'Europe le voyait. On pourrait espérer qu'elle concourrait au mouvement, lui donnerait consistance, force et solidité, que le monde protestant, c'est-à-dire le monde riche, viendrait à nous, apporterait son activité, son argent.
On croit à tort que l'argent n'est d'aucune religion.—Erreur.— Le capital est protestant.
L'argent catholique est un mythe.—Quelles sont les nations qui dorment, rêvent et ne font rien? les catholiques. Et les nations pauvres? les catholiques.—Tout ce qui négocie, fabrique, gagne, s'enrichit, prospère, est du côté de l'hérésie.
Nos protestants déjà revenaient en grand nombre. Et bien d'autres voulaient venir. Ils auraient fait couler ici un fleuve d'or s'ils eussent été bien sûrs que le feu roi ne ressuscitât point. Le règne du banquier protestant, employant indifféremment protestants, catholiques, voilà ce qui rassurait, appelait l'étranger. Ce qui pouvait le mettre en fuite, c'était Law converti, c'était le règne de Dubois, du fripon qui vendait nos libertés pour un chapeau, du futur cardinal-ministre.
Il suffisait de voir à ce moment le pays catholique , l'Espagne, de le comparer à la France, d'observer la mort progressive de l'une, la renaissance de l'autre, pour juger et se décider. Tout éphémère qu'il soit, le Système a pour nous un effet très-durable d'initiation, d'émancipation. L'Espagne de Philippe V, sous Alberoni même, sous sa reine italienne, enfonce en son vieux crime de barbarie sauvage et son châtiment mérité.
Chaque année compte par des auto-da-fé. Contraste abominable que ce gouvernement de femme et de nourrice, cette
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