Histoire De France 1715-1723 Volume 17
royauté du lit, fût si cruelle! que cette femme, furieuse d'ambition, doublement corrompue, caressant à la fois et les secrets vices du roi et la férocité du prêtre, présidât à Madrid, avec son maniaque,à ces fêtes de mort! Des hommes en flammes, des femmes hurlant, se tordant sur la braise, c'est l'expiation du carême, parfois la glorification de Pâques. Pénitence d'horreur qui ne purifie pas, au contraire, qui déprave encore.
L'ambassadeur de France donne dans ses dépêches le chiffre exact de quelques années. Le voici pour Madrid, pour les auto-da-fé royaux.
7 avril 1720, neuf hommes et huit femmes brûlés ; 18 mai 1720, sept hommes et cinq femmes brûlés ; 22 février 1722, six hommes et cinq femmes brûlés ; 22 février 1724, quatre hommes et cinq femmes brûlés , etc.
Je ne m'étonne pas de la colère de Dieu. En 1719 (comme en 1718), invariablement il noie la flotte d'Espagne. Le 10 mars, l'expédition jacobite, préparée par Alberoni, part de Cadix et cingle vers l'Écosse. Les tempêtes, les vents furieux en font justice au golfe de Biscaye. Plusieurs vaisseaux périssent; d'autres abordent pour être pris.
Notre armée, au même mois de mars, avait passé les Pyrénées pour cette guerre trop facile. Au dehors, au dedans, tout nous favorisait. D'avril en juin, une hausse incroyable a remonté, relevé le crédit. Le grand problème à ce moment, c'est de savoir si le Régent qui profite du succès de Law, aura assez de force pour le suivre dans ses réformes, s'il saura se défendre contre la bande qui l'assiège, obsédé, étouffé qu'il est entre les illustres vampires qui le pillent de haute lutte et les fines Circés qui l'enivrent et l'enlacent pour lui vider les poches.
Il était déjà loin dans la vie, affaissé, bien loin del'énergie, du courage qu'auraient demandés la situation. Un coup à ce moment le fit baisser encore, la tragédie d'orage, de remords, de fluctuations violentes qu'eut sa fille, ange-diable, torturée de ses deux natures, qui accouche en avril, est grosse en mai, se tue de vice et de folie.
Je n'ai rien lu en aucune langue de plus âcre, de plus violemment haineux que les pages de Saint-Simon sur les couches et la mort de cette princesse. Ce catholique impitoyable se baigne dans les roses à contempler, savourer les tortures d'une femme folle qui meurt à vingt ans. Tout disposé qu'on soit à condamner une personne si souillée, on ne peut qu'en avoir pitié en la voyant sous ce scalpel. Elle a peur, elle est furieuse; elle a des remords et des rages; elle veut vivre, se moque des prêtres, puis elle a peur du diable; elle se voit déjà emportée. Elle crie, elle hurle, elle pleure. Saint-Simon en rit et s'en moque. Enfin, quand elle est morte, lui-même il dit la chose qu'il eût dû dire d'abord, une chose qui le condamne fort et rend cette férocité bien odieuse: On l'ouvrit, et l'on vit qu'elle avait le cerveau fêlé.
Duclos et tous l'ont suivi, copié. On peut se demander pourtant comment Saint-Simon, si froid, si glissant sur les empoisonneurs (Lorraine, Effiat, Penautier), si léger sur les infâmes, les mignons de Sodome (Lorraine et Monsieur, Courcillon, etc.), est tombé avec cette fureur sur la duchesse de Berry? Elle eût été la Brinvilliers, la Voisin, empoisonneuse et assassine, qu'il aurait parlé d'elle avec plus de modération.
Si la jeune duchesse est véritablement un monstre,comment madame de Saint-Simon reste-t-elle sa dame d'honneur? Il a beau dire de page en page qu'elle y va peu. Il devrait avouer que les époux ne voulaient pas quitter cette position peu honorable, mais très-influente près d'une princesse qui avait tous les secrets de l'État et tenait le cœur du Régent. Il se venge d'avoir eu cette faiblesse, cette patience. Il hait visiblement la duchesse. Il lui en veut de deux sottises qu'il a faites, et d'avoir travaillé à son triste mariage, et d'avoir laissé près d'elle madame de Saint-Simon.
Son père aurait voulu, ce semble, l'associer au mouvement nouveau. Il avait établi chez elle, dans son grand logement à Versailles, la belle colonie de huit cents horlogers que Law avait fait venir. Mais on travaillait fortement en dessous à l'occuper de tout autres idées.
La cabale sentait justement combien, avec son audace d'esprit, elle aurait pu lui être dangereuse. Il eût fallu que les deux femmes (les deux seules au fond qu'il aimait), sa mère, sa fille, employassent leur violence à le
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