Histoire De France 1715-1723 Volume 17
L'or, l'argent, ces maudits, sont serrés de si près, qu'ils ne savent plus où se cacher; ils n'ont d'abri sûr que dans les caves de la Banque.
Mais l'arrêt du 22 qui l'unit à la Compagnie en a donné la clef à celle-ci, et lui ouvre l'encaisse. Avant la fin du mois, son gros actionnaire, Conti, arrive avec trois fourgons dans la cour. Il veut réaliser en espèces ses actions. Effroyable impudence! de venir enlever l'or que ses légitimes possesseurs apportent avec tant de regret et pour obéir à la loi! Vouloir que Law, publiquement, viole cette loi qu'il a faite hier!... Rien n'y servit. Il fallut le payer, remplir ses trois voitures. En plein jour, au milieu de la foule ébahie, il emporte quatorze millions.
Le Régent en fut indigné, mais beaucoup plus M. le Duc, qui regrettait de n'en pas faire autant. Le 2 mars, il prend son parti, et lui aussi fond sur la Banque. Lui, protecteur de Law, il vient le sécher, le tarir, rafler tout et faire place nette. Lui, qui a pu réaliserhuit millions en septembre, vingt millions, dit-on, en octobre, il présente à la caisse, le bourreau, pour vingt-cinq millions de papier qu'on doit, sur l'heure, changer en or. Coup féroce du chef de la hausse, qui vient outrageusement donner le signal de la baisse. Law se voilà la tête. Le Régent se fâcha. On fit même semblant de rechercher cet or et de courir après. Il cheminait paisible sur la route du Nord, tendrement attendu de la reine de Chantilly.
Law, indomptablement, répondit à ce coup par un autre, désespéré, le plus audacieux du Système. Il alla jusqu'au bout, atteignant les voleurs et détruisant leur vol. Il abolit l'or et l'argent , leur ôta cours et défendit qu'on s'en servît.
«Les louis d'or en mars vaudront encore quarante-deux livres, trente-six en avril. Et en mai? pas un sou.—L'argent a un répit. Il vivra un peu plus que l'or, jusqu'en décembre, sera enterré en janvier.»
Mesure étrange, hardie, mais d'exécution difficile, qu'on ne pouvait maintenir.
Mais, quoi qu'il en pût être de l'avenir, elle eut pour le moment un effet violent pour les réaliseurs , les rendit furieux. Leur or ne pouvait ni sortir de France (on l'avait vu par Duverney), ni s'employer aisément en achats, sinon avec grande perte; on hésitait à recevoir ces métaux dangereux qui bientôt ne serviraient plus.
Les riches du Système, gorgés par lui, en devinrent les plus cruels ennemis, ardents apôtres de la baisse, outrageux insulteurs de Law et du papier. Dans leurs orgies, ne pouvant brûler l'homme, ils brûlaient desbillets, pour bien convaincre le public que ce n'étaient que des chiffons.
Leur espoir le plus doux, c'était que le Parlement, qui, dès août 1718, eût voulu déjà pendre Law, effectuerait enfin ce vœu, prendrait son temps et, par un jour d'émeute, ferait brusquement son procès. Ces magistrats haïssaient Law, et pour le mal et pour le bien. Il était le monde nouveau qui les sortait de toutes leurs idées. Aux plus dévots d'entre eux, il semblait l'Antichrist. Tous trouvaient fort mauvais que le grand novateur touchât à la vénalité des charges, qu'il parlât de supprimer cette justice patrimoniale, où le droit souverain de vie, de mort, la robe rouge, passait par héritage, échange, achat, legs, dot. Petit fonds, de fort revenu pour qui savait, de certaine manière, le rendre fructueux.
L'austérité de quelques-uns n'empêchait pas le corps d'être détestable, d'orgueil borné et d'inepte routine, bas pour les grands, cruel aux petits, très-obstiné pour la torture, pour toute vieille barbarie. Le fisc, le règne de l'argent à son début sous Henri IV, avait consacré ce bel ordre. Ici, l'homme d'argent, Law, eût voulu le supprimer. De là duel à mort, où l'on croyait que Law serait fortement appuyé par l'ennemi personnel du Parlement, M. le Duc, qui avait tant aidé à le briser en 1718. En mars 1720, M. le Duc, Conti, ont sur cela changé d'opinion. L'abolition de l'or les blesse trop. Ils se vengent de Law en défendant le Parlement ( ms. Buvat , 2, 221). S'étant garni les mains, ils s'en détachent, flattent le public à ses dépens. On se dit que cet homme, abandonné des princes,ne peut durer, qu'actions et billets, tout cela va tomber. Ce qui fait justement que d'autant plus ils tombent. La baisse se précipite.
C'est le moment où Blount, à Londres, a présenté son plan aux Chambres. Heureuse chance pour lui. Il leur montre Paris en baisse, la ruine
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