Histoire De France 1758-1789, Volume 19
quelle place, dans le corps des malades, aura l'humeur maligne et corrompue.
Ceci s'entend assez et dépasse fort 89.
Non moins sinistrement, cet âpre, inflexible Sieyès dans les Instructions électorales du duc d'Orléans, rappela la question suprême, la responsabilité . On a vu qu'à Grenoble un magistrat l'explique par la mort de Calonne, le Grand Conseil par la mort de Brienne, plaçant même plus haut encore la responsabilité. La brochure d'Orléans demande «que quelqu'un soit responsable.» Inutile de nommer ce quelqu'un . Chacun comprendra.
Tout devient clair, fort, bref. Le public marche droit. Malheur à qui gauchit. Le doublement du Tiers est le grand shiboleth où l'on se reconnaît. Le Parlement, cette vieille perruque, hier si populaire, a osé rappeler les États de 1614 (les nobles triomphants et le Tiers à genoux). Dès ce jour, sans retour, il sombre, il s'enfonce, il descend, il s'abîme, cent pieds sous la terre. Il n'en remontera que pour paraître en masse à la place funèbre de la Révolution.
Cette chute subite du Parlement devait avertir Necker. Il flottait misérablement (j'en crois Droz, Mounier, Malouet, et nullement le fils de Necker). Ce cœur sensible et tendre, qui voulait plaire à tous, était désespéré de faire du chagrin aux privilégiés. Entre quelques hommes et la France, la justice et l'iniquité, il se taisait, restait admirablement impartial.
On lui montrait que la noblesse avait été partout contre Brienne (de mai en août); qu'en Dauphiné,seule au 13 juin, elle avait convoqué les États à Vizille; qu'à Rennes, ailleurs encore, elle avait gagné et désarmé l'officier (noble). N'étaient-ce pas des nobles, ces vaillants députés bretons, les douze qu'on mit à la Bastille, ces obstinés qui vinrent, les dix-huit, et les cinquante-deux? Trente ducs et pairs avaient offert de renoncer à leurs priviléges pécuniaires. Donc la noblesse, haute ou petite, en majorité figurait au premier acte du grand drame.
Un coup de vent, avant décembre, éclaircit la situation. La majorité noble, un moment entraînée hors de son état naturel par l'esprit généreux du siècle ou par la haine de la cour, rentra dans les rangs rétrogrades, aussi bien que les Parlements. Ce fut fort clair en Bretagne. Nantes et Quimper, et Rennes même (des bourgeois, des étudiants éclatèrent contre la noblesse), furent appuyées de Saint-Brieuc, d'Auray et d'autres villes. Contre son corps municipal, Nantes créa une autre assemblée, plus sérieusement municipale, et qui réellement représenta la ville. Nantes envoya au Roi demander le doublement du Tiers ( Mellinet ). Dans le cahier commun des villes de Bretagne qu'on fit à Rennes, la demande en fut faite expressément d'après le Dauphiné ( Duch. , I, 85).
Des avocats terribles parlaient encore plus haut pour la cause du peuple. Deux avocats: la faim, la mort.
La détresse s'accrut par l'hiver. Dès le 9 décembre la Seine est prise, et tous les fleuves. Les arrivages cessent. Le froid tombe à trente degrés. Le peuple en chaque pays retient les blés. Plus de circulation. Toutnégoce des grains est taxé d'accaparement. Le ministère en vain demande à acheter. L'effroi entrave tout. Necker, aux abois, de nuit, de jour, écrit lettres sur lettres et reçoit cent courriers. D'heure en heure, de toute province, arrivent d'accablantes nouvelles: ici, là, partout la famine.
La situation de Paris était un sujet de terreur. On l'alimentait jour par jour, et la vie de ce corps énorme était suspendue à un fil. La mortalité fut immense. De toutes parts, les pauvres gens périssaient de froid et de faim. On mourait dans les greniers. On mourait dans les rues. Des processions infinies de convois s'allongeaient vers les cimetières. Il y eut un grand mouvement de charité, de bienfaisance, disons-le, de prudence aussi. Que serait-il arrivé si le redoutable Paris, au dernier degré des misères et sous l'aiguillon de la mort, eût forcé ces palais regorgeant d'un luxe odieux, forcé, à la place Vendôme, les insolents hôtels des Fermiers généraux? Les curés, les philosophes, l'archevêque de Paris, tous donnèrent. Nul davantage que le duc d'Orléans. Sa prodigalité royale fit l'inquiétude de Versailles. Celui qui si largement jetait sa fortune privée n'avait-il pas un but plus haut? Dès ce temps, en toute chose, imaginative et haineuse, la Cour voit la main d'Orléans. Les clubs qui commencent à ouvrir, sont
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