Histoire De France 1758-1789, Volume 19
dirigés par Orléans. Deux mille cinq cents brochures, parues en quatre mois, sont l'œuvre d'Orléans. Le grand mouvement des campagnes en 1789, les vagabonds, les affamés, ceux qu'on appelait les brigands , c'est Orléans qui les suscite. Il devient une légende, un extraordinaire magicienqui, de ses occultes puissances, remue le monde, opère les immenses phénomènes qu'offrira la Révolution.
C'est pourtant du Palais-Royal, d'un homme du duc d'Orléans (Ducrest) qu'était venu, en 77, le meilleur de tous les conseils que reçut jamais Louis XVI: Faire lui-même la Révolution, lui-même démolir la Bastille, prendre l'initiative de toute grande mesure populaire. En décembre 88, la terreur, la nécessité, rendirent le Roi moins sourd. Au grand peuple affamé, dont la voix demandait: «Du pain!» il donne le Doublement du Tiers (27 décembre 1788).
Le Tiers (de 25 millions d'hommes) fournit autant de députés que le Clergé et la Noblesse réunis (les deux cent mille privilégiés).
Victoire de la justice, petite, injuste encore. Et on ne l'eût pas obtenue si le roi et la reine n'avaient pas été décidés dans le danger, la crainte, de plus par la rancune. Ils en voulaient à la noblesse. Cette noblesse, appui du trône, c'est elle qui le démolissait. De la cour, de Versailles bien plus que de Paris, étaient sortis les chansons, les libelles contre la reine. Qui avait précipité, désarmé son ministre Brienne? sinon les nobles de province, ces officiers qui refusèrent de faire tirer. La première illumination pour la chute de Brienne fut celle des nobles de Bretagne, renfermés à la Bastille. Rien de plus amer pour la reine.
Dans le doublement du Tiers, le roi, la reine, n'eurent nulle autre pensée. Ils ne donnèrent point le change. Ils marquèrent vivement qu'ils se vengeaientde la Noblesse. Quand on dit à Louis XVI qu'aux Notables un seul bureau avait voté pour le Tiers à la majorité d'une voix, il dit: «Qu'on ajoute la mienne!» La reine, le 27 décembre, assista au Conseil, voulant publiquement participer de sa personne à l'acte que la noblesse appelait «sa dégradation.»
Du reste, ils crurent ne faire qu'une manifestation de mécontentement. Le Tiers augmenté gagne peu. Tout comme auparavant il n'est qu'un ordre à part, il n'a qu'une voix contre deux . Il est, comme toujours, dominé par les deux ordres supérieurs, le Clergé et la Noblesse. Necker ne mêlant pas les trois ordres en une même assemblée, n'accordant pas le vote par tête, conservant la vieille forme oppressive du vote par ordres, rassurait par là la conscience du roi, inquiète pour les privilégiés. Par là encore il espérait calmer le ressentiment, l'indignation de la Noblesse. Il s'excusait, clignait de l'œil, semblait dire: «Ne vous fâchez pas! Au fond, je n'ai accordé rien.»
Le règlement d'élection qui parut (24 janvier), étonna, effraya. Plusieurs crurent follement que les bannis génevois, aux gages de l'Angleterre, avaient voulu lancer la France en pleine désorganisation, que Necker les écoutait (ce qui n'était pas vrai), qu'il voulait dans cette grande France faire la démocratie des petits cantons de la Suisse, ou l'égalité barbare des nomades qui ne savent ce que c'est que propriété.
La base surprenait: Tout imposé est électeur. Touthomme de vingt-cinq ans. Cela voulait dire: tout le monde; car tous payaient la capitation.
Quelle confiance illimitée dans l'excellence de la nature humaine, le patriotisme des masses et la modération des pauvres!
En regardant de près, plusieurs, comme Mirabeau, jugeaient que ce plan, d'apparence ultra-démocratique, dérobait, retirait par l'artifice du détail ce qu'il accordait par l'ensemble. Les prêtres à bénéfices, les nobles ayant des fiefs, donc un très-petit nombre, ont seuls le privilége de l'élection directe. Le Tiers (la nation) n'a que l'élection de second degré. En conservant aux vieux bailliages leurs absurdes droits, on y annule adroitement la proportion supérieure du Tiers. On appelle tous les petits nobles, faméliques, aisés à gagner. On favorise les jurandes, servile oligarchie industrielle.
La convocation n'est ni uniforme, ni simultanée. Paris, la tête de la France, qui devrait marcher devant, éclairer et guider, très-machiavéliquement est convoqué le dernier, après tous, et de façon à n'exercer nulle influence. On alla si loin dans la haine, la méfiance contre la grande ville qu'on eût dû le plus
Weitere Kostenlose Bücher