Histoire De France 1758-1789, Volume 19
ménager, qu'au 13 avril, le ministère, violant pour elle seule le principe d'élection qu'il avait posé pour la France, décida qu'à Paris il faudrait payer six livres de capitation pour être admis aux assemblées électorales du Tiers.
Mirabeau va jusqu'à conclure qu'on ne voulait pas sérieusement les États généraux. Plusieurs pensaient en effet qu'on n'y voulait qu'une mêlée, où tous, combattant contre tous, s'annuleraient également au profitdu pouvoir royal. Une grosse masse noire de curés, venant avec leurs haines et leur pauvreté irritée, allait engloutir les évêques. Les anoblis, contestés, méprisés de la noblesse, voulaient certainement l'abaisser. Mais ces vainqueurs subalternes du clergé et de la noblesse vont eux-mêmes à leur tour être écrasés par la roture qui veut partout un plat niveau. D'autant plus haut, sur la ruine générale, doit monter le trône.
Dans ce plan, au premier regard, inhabile et informe, mais plein de fautes calculées, on put montrer au roi le résultat probable: qu'on aurait à la fois la popularité des bonnes intentions et le profit de la duplicité (Mir., Mém. , V, 224).
On a cru qu'en cette mesure le Roi s'était démenti, contredit, qu'il avait pris tout à coup un sentiment novateur, révolutionnaire. Quoi de moins vraisemblable? Mais nous n'avons pas là-dessus à douter, à conjecturer. Les notes aigres que, en cette année 88, il écrivit sur les plans de Turgot, et contre son idée de grande municipalité ou assemblée nationale, constatent ses sentiments réels. Écrites dix ans après Turgot, et sans occasion apparente, elles sont sans nul doute une protestation indirecte non pas contre Turgot, enterré dès longtemps, mais contre Necker, contre ses mesures populaires.
Le cœur n'y fut pour rien. Celui de Louis XVI fut au fond immuable pour le Clergé et la Noblesse, très-fixe et très-fidèle. Il y parut bien à la fin, lorsqu'en juillet 91, non sans danger, il refusa de mettre le feu à l'arbre féodal où l'on brûla les armoiries des nobles. Il y parut dans son obstination à n'exiger point duclergé un serment politique qui ne gênait en rien la conscience religieuse. Il y mit un entêtement mortel, inexplicable. Plutôt que de céder, il aima mieux se perdre, il aima mieux nous perdre, appeler l'étranger, trahir, livrer la France.
Ici, le 27 décembre, il crut tout simplement donner un leurre au Tiers, ruser avec la crise, le moment du danger, mais, conservant le vote par ordres, rendre vain l'avantage qu'il donnait à la Nation, maintenir la suprématie des deux ordres privilégiés.
Étrange ingratitude! On est vraiment surpris de le voir si peu touché de l'opiniâtre attachement de la Nation. Le renvoi de Turgot, de Necker, partout ailleurs qu'en France, l'eût fait haïr du peuple. Sa connivence déplorable au grand pillage de Calonne, partout ailleurs, lui eût rendu le public implacable. Les fusillades de Paris, ces exécutions étourdies, cruelles, auraient perdu tout autre.
Rien n'y faisait. Le peuple s'acharnait dans cette surprenante fiction que tout le mal venait d'ailleurs, que le roi ignorait les choses qu'il signait tous les jours. Quoi qu'il pût faire, la France persistait en ce songe, cette vaine légende, d'un certain Louis XVI dans le genre du bon roi Robert ou de Louis le débonnaire .
La France était très-royaliste. Et cela sans exception. Tous, Robespierre même et Marat.
Et le plus royaliste des trois ordres, c'était le Tiers. Partout dans les pays où il pouvait parler, dans les pays d'États, il s'était montré tel. Cela est frappant en Bretagne, pour tout le siècle. Lorsqu'en 50, 52, 56, onexige les nouveaux vingtièmes, Nobles et Parlement refusent: le Tiers cède toujours: il vote obstinément pour le roi et contre lui-même. Plus royaliste encore il est sous Louis XVI. En 1778, il vote aveuglément tout ce qu'on veut, et en 86, au voyage de Cherbourg, quand le roi passe, deux provinces se précipitent au passage, tout l'acclame, le bénit, tout pleure.
Les cahiers du Tiers manifestent combien, dans sa victoire, au moment même où il sentit sa force, il fut respectueux et tendre pour cette vieille idole, la royauté. Ses assemblées, graves, sérieuses (autant que celles des nobles furent tumultueuses, violentes), témoignent d'une modération singulière. En réclamant les droits éternels de l'espèce humaine avec simplicité, elles ne sont nullement audacieuses, plutôt un peu timides. Le
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