Histoire De France 1758-1789, Volume 19
Provence, il se fit peuple, se déclara contraire à l'opposition qu'elle faisait au doublement du Tiers. Quelque appui qu'il eût au dehors, il était seul dans l'assemblée, au milieu de ses ennemis, nullement soutenu du Tiers (quelques municipaux serviles). Pouvait-il diviser les nobles, se faire un appui parmi eux? On lui fit à ce sujet une très-dangereuse ouverture. Sa femme, qui n'était plus jeune, pouvait, en revenant à lui, lui gagner sa coterie, parents, amis ou amants. Il leur aurait fort convenu de l'avilir, de l'énerver, de l'accabler du patronage de ceux qui le déshonoraient. Il refusa (20 janvier 1789).
L'assemblée était d'avance si bien travaillée contre lui, qu'aux premiers mots qu'il prononça (30 janvier),mots prudents, très-modérés, une tempête de colères, vraies ou simulées, s'éleva. La fureur avec laquelle il fut insulté, dépasse toute haine politique. Évidemment les blessures que firent ses plaidoyers terribles, le coup d'épée qu'il donna alors au petit Galiffet, après quatre ans, saignaient encore. On avait ameuté la masse contre le chien enragé (p. 269). Le plan était de s'en défaire de manière ou d'autre. «Nous l'insulterons, disaient-ils; s'il vient à bout de l'un de nous, il faudra qu'il passe sur le corps à tous.» (262.) Donc on vit ce spectacle indigne de cent quatre-vingts nobles ou prêtres aboyant contre un seul homme. La pétulance du Midi ne connut aucune borne. Les risées furent prodiguées au gentilhomme débonnaire et au mari patient. Il attendait calme et fort, refusant aux provocateurs l'occasion qu'ils cherchaient, contenant dans sa poitrine et accumulant l'orage qui bientôt les écrasa.
Mirabeau put comprendre un pitoyable mystère qui a fait énormément pour hâter la Révolution. C'est la Terreur du duellisme que la Noblesse impunément exerçait sur la nation.
Cent ou deux cent mille fainéants qui ne s'occupaient que d'escrime, constamment humiliaient les gens laborieux, utiles, même les militaires inférieurs qui ne savaient ce petit art. La bravoure ne préservait pas de ces affronts continuels. Des soldats, comme Hoche ou Marceau, étaient rossés comme les autres. Pour les tenir souples et bas, ils avaient imaginé (c'est ce qui a fait plus tard l'horrible affaire de Châteauvieux) de faire courir le soir dans la rue des maîtres d'armespour défier le soldat. Il était blessé ou tué; s'il refusait, déshonoré.
On parle de la Terreur judiciaire de 93. On ne parle pas assez de la fantasque Terreur qu'exerçait cette Noblesse sous l'ancien régime, et les furieux royalistes de 89 à 92. La garde constitutionnelle, composée de maîtres d'armes, de bretteurs et coupe-jarrets, porta l'irritation au comble. Un membre de la Convention, Grangeneuve, qui était un nain, fut encore, en 92, outragé dans les Tuileries.
Tout cela partait d'en haut. C'était l'amusement de la cour. On en faisait des gorges chaudes chez d'Artois, chez ceux qui s'enfuirent au premier jour même de l'émigration.
Le duel de Mirabeau fut d'un géant, d'un titan. Il arracha de lui-même une montagne, la lança. C'est la foudroyante apostrophe que tous ont retenue par cœur. Aplatis, ils ne répondirent qu'en se dispensant de répondre. Ils prirent un prétexte absurde pour l'exclure de l'assemblée. C'était le 8 février. Le 10, ils eurent de Paris un admirable secours pour perdre et flétrir Mirabeau. On put voir combien le pouvoir, libéral en apparence, était pour l'aristocratie. Le 10, l'avocat du roi demanda au parlement, obtint que les Lettres de Berlin fussent brûlées par la main du bourreau.
Au moment où le géant semble illuminé d'éclairs, la main du bourreau le touche! Qui ne le croirait perdu? Il court à Paris, mais n'ose y entrer de jour. La nuit, il sollicite ses amis. Nul plus sûr apparemment qu'un jeune homme qu'il a poussé. Ce cher ami ferme sa porte, le renie. C'est Talleyrand.
Mirabeau avait plusieurs âmes. Et son âme dantonique s'éveillait dans ces moments. Avec le colonel Servan, l'intrépide girondin, il traduisit, imprima un livre qui aurait fait en haut un coup de Terreur: La Royauté , de Milton. Cette bombe, en éclatant, eût touché le trône même. Servan, dans ses propres livres ( Le soldat citoyen ), n'avait reculé nullement devant ces moyens d'intimidation. Il y adresse aux militaires de cour les plus directes menaces, les avertit du jugement prochain de la Révolution.
Le Parlement, qui enfonçait dans
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