Histoire De France 1758-1789, Volume 19
faisait, du mariage de Louis XVI, des années qui s'écoulent avant la mort de Louis XV et des premières du nouveau règne. L'intérieur, dans son plus intime, nous est désormais révélé.
Les deux jeunes époux avaient cela de singulier que lui, né à Versailles, était tout Allemand, comme sa mère. Et elle au contraire, née à Vienne, était absolument Française, ou pour mieux dire Lorraine, comme son père, qui, épousant Marie-Thérèse, devenant Empereur, ne put pourtant jamais apprendre l'allemand. Il était neveu de notre Régent, lui ressemblait au moins par l'amour du plaisir, une légèreté qui passa à sa fille.
Le Dauphin avait le malheur d'avoir des deux côtés, paternel, maternel, un fâcheux précédent de lourdeur et d'obésité. Il combattit cela toute sa vie par l'exercice, la chasse, la fatigue des métiers manuels, le marteau et l'enclume. Il ne devint jamais comme son père un monstre de graisse.
Sous ses formes un peu rudes, le fond chez lui était la sensibilité, aveugle, il est vrai, et sanguine, qui lui échappait par accès. Morne, muet, dur d'apparence, il n'en avait pas moins quelquefois des torrents de larmes. Quand, coup sur coup, son père, sa mère moururent, il eut ce cri: «Qui m'aimera!» Sa tante Adélaïde l'aimait assez, mais aigre et sèche, elle allait peu à sa nature. Cette bonne nature parut aux tristes fêtes du mariage où cent personnes furent étouffées; il en eut un chagrin profond. Elle parut à l' entrée dans Paris qu'il fit plus tard; la joie, la tendresse du peuple, eurent sur lui cet effet qu'il parla à merveille; son cœur dénoua son esprit.
On a vu que Choiseul faisait, in extremis , ce mariage d'Autriche pour remonter, durer encore (mai 1770). On mariait le Dauphin malgré lui. La petite fille vint quand personne ne la désirait. Ce que furent l'arrivée et les premiers rapports, un témoin nous le dit, un témoin oculaire, Vermond, le précepteur de Marie-Antoinette. Il y eut des deux côtés un froid mortel, étrange entre si jeunes gens. L'enfant de quatorze ans laissait son cœur à Vienne, et se croyait entre des ennemis. Le Dauphin (de seize ans), bien instruit par ses tantes, ne vit dans sa petite épouse qu'un agent de Marie-Thérèse.
Celle-ci, avec sa passion, son effort ordinaire pour peser sur ses filles, fit pour son Antoinette ce qu'elle fit auparavant pour sa Caroline de Naples. Elle l'endoctrina fortement au départ, la fit coucher près d'elle aux derniers mois, l'entretenant la nuit du terrible pays de France, où elle allait, lui remplissant la tête de toutes sortes de craintes, de précautions qu'il fallait prendre, faisant enfin tout ce qui pouvait ôter le naturel à cette enfant, créer la défiance contre elle.
La petite était fort troublée. Elle avait une peur extrême du Dauphin, ne permettait pas que Vermond la quittât. Ce redouté Dauphin avait cependant l'air d'un bon jeune Allemand encore plus embarrassé qu'elle. Le lendemain de l'arrivée, il entre, au matin: «Avez-vous dormi?» C'est tout ce qu'il trouva. «Oui,» dit-elle. Vermond était là, un peu éloigné seulement. Le Dauphin brusquement sortit.
Elle montrait beaucoup trop la prudence qu'on lui avait recommandée, ne se fiant à aucune clef, cachant dans son lit même les lettres de sa mère, et par là faisant croire qu'elles contenaient de grands secrets. Elle écrivait le jour où ses lettres partaient, les cachetait au moment même, les envoyait tout droit par l'ambassade. Les innocents cahiers de ses extraits d'histoire (un complément d'éducation), elle n'osait les continuer avec Vermond «de peur d'être surprise par M. le Dauphin.» ( Lettres de Vermond , p. 369-370.)
Sa mère fort maladroitement, par une exigence vaine, lui ménagea une querelle dès l'arrivée. Elledemanda à Louis XV que mademoiselle de Lorraine, parente de l'Empereur, fût aux fêtes après les Condé, avant les Bouillon, les Rohan, et autres familles titrées. Vive, très-vive résistance de tous ces gens, qui, blessant la Dauphine, se crurent dès lors en guerre avec elle, furent ses ennemis.
Son aimable figure et sa vivacité d'enfant avaient plu fort au Roi. Elle n'avait nullement déplu à Mesdames. Raisonnablement elle inclinait de ce côté, attirée spécialement par la bonté de madame Victoire. Elle y allait trois fois par jour ( Arneth , p. 13) et elle y voyait le Dauphin. Il était trop heureux que la jeune princesse, isolée, d'elle-même préférât le
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