Histoire De France 1758-1789, Volume 19
anti-autrichien. Le Roi le logea près de lui pour avoir à toute heure son soutien, son autorité, avec celle de ses tantes, pour se garder un peu de sa faiblesse conjugale. Entre Maurepas et Vergennes, ses deux gardes du corps, il craignit moins, accorda à la Reine de voir et recevoir Choiseul.
On crut que celui-ci revenait au pouvoir. Et nos Autrichiens exultaient. Leur déroute n'en fut que mieux marquée. Le Roi reçut Choiseul, et ne lui dit qu'un mot: «Qu'il était bien changé, devenu gras et chauve.» Puis lui tourna le dos. Choiseul désarçonné retombe pour jamais dans l'exil (13 juin 74).
L'Autriche eût moins perdu en perdant dix batailles. Tout son espoir était le retour de Choiseul. Joseph II et Kaunitz, dans leurs vastes projets de Turquie, d'Allemagne, partaient de cette idée qu'Antoinette leur tenait la France pour s'en servir à volonté. Marie-Thérèse, à chaque lettre, lui demande toujours d'être bonne Autrichienne, lui dit expressément( Arn. , 119, 124 et passim): «Mêlez-vous des affaires... Devenez le conseil du Roi... Faites de Mercy votre ministre.» En toute chose qui ne s'écrit pas, on la menait par Mercy, Vermond, Bezenval, par les Choiseul et la Grammont.
Tout acte indépendant de la France leur semblait révolte. On le vit en 78, quand le Roi refusa de faire la guerre pour Joseph II; Kaunitz, si réservé, rougit et pâlit de fureur ( Flassan , VII). On le vit en 74; la Grammont indignée courait Paris, disant que l'on saurait bien mettre le Roi à la raison ( Soul. , II, 256).
Rohan, le 29 mai, avait pris congé de Marie-Thérèse ( Arn. , 116), mais il resta à Vienne un mois pour observer encore. Il recueillit des preuves d'autant plus accablantes de la perfidie de l'Autriche, qu'elles concordaient à merveille avec tout ce que Broglie, dans ses lettres secrètes, avait dit au feu Roi (V. Boutaric ). Louis XVI allait voir qu'il était épié, vendu, ainsi que Louis XV. Il était défiant. Comment le changer à l'instant, obtenir qu'il s'aveugle, se crève les deux yeux, je veux dire qu'il écarte à la fois et Broglie et Rohan?
Marie-Thérèse était épouvantée, et encore plus l'ambassadeur-mouchard, Mercy, qui sur sa face voyait arriver le soufflet. Leur unique ressource était la Reine, bien jeune, il est vrai, bien légère, peu corrompue encore, pour ruser et tromper longtemps. La mère la flatta fort, l'appela son amie ( Arn. , 122). Mercy, Vermond, lui dirent sans nul doute qu'en servant l'Autriche, elle servait la France, le Roi, la paix du monde. Elle était orgueilleuse, et on la prit parlà pour lui faire soutenir un mois ou deux le rôle le plus honteux pour une femme, d'obséder, d'enivrer de caresses menteuses un mari qui lui répugnait.
D'abord elle assura qu'après la mort presque subite du feu Roi, elle ne serait jamais tranquille si Louis XVI n'était inoculé. Elle ferma sa porte, s'enferma avec lui, l'enveloppant de soins et de tendresse. Cela le toucha fort, et lui fit faire une chose sotte de confiance illimitée. Il supprima l'agence secrète de Louis XV, donna l'ordre de brûler cette précieuse correspondance, et les papiers de Broglie, terribles pour l'Autriche ( Bout. , II, 410; 6 juin). Ordre inexécuté. Du moins, il tint Broglie éloigné, se boucha les oreilles et ne voulut jamais l'entendre.
Mais le plus fort restait à faire. Rohan venait, voulait être entendu, et nul prétexte pour l'exclure. Le Roi était guéri, sauf des boutons secs au visage ( Arn. , 122). Moment fort décisif où la Reine dut emporter tout. C'était juin; il avait vingt ans. L'explosion des sens (tardive chez l'Allemand, comme il était) n'éclatait que plus violente, et l'aveugle désir d'un bonheur jusque-là incomplet, ajourné.
Au 28 pourtant rien encore [15] . Paris jasait de chirurgie, d'obstacle, etc., sachant, notant tout jour par jour. Mais il fallait auparavant que la Reine écrasât Rohan. Cela eut lieu à l'entrée de juillet. Elle tenaitle Roi si ivre, si aveugle, que, bien loin de rien craindre, elle voulut qu'il reçut Rohan, l'assommât en personne. Celui-ci qui venait de rendre un tel service, qui apportait ses preuves, n'eut qu'un regard, celui du sanglier, un grondement farouche qui le fit fuir. Telle est la bête en l'homme!
Et telle la victoire d'Ève. L'impossible devint aisé ( Baudeau , 14 juillet 1774). Ingrat pour Broglie, et ingrat pour Rohan, il fit encore un pas du côté de l'Autriche; il envoya à Vienne Breteuil que demandait
Weitere Kostenlose Bücher