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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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servir : ils étaient constitués de pièces détachées dépareillées ; aucun fusil n’avait sa propre culasse et les trois quarts d’entre eux s’enrayaient au bout de cinq coups. Il y avait enfin quelques Winchesters. Avec ces derniers il était agréable de tirer, mais leur tir était tout à fait déréglé, et comme ils étaient armés de cartouches sans chargeurs, on ne pouvait tirer qu’un coup à la fois. Les munitions étaient si rares que chaque homme, à son arrivée au front, ne touchait que cinquante cartouches dont la plupart étaient extrêmement mauvaises. Les cartouches de fabrication espagnole étaient toutes sans exception faites de douilles récupérées et rechargées, et elles auraient fait s’enrayer les meilleurs fusils. Les cartouches mexicaines étaient meilleures, aussi les réservait-on pour les mitrailleuses. Les meilleures de toutes étaient les munitions de fabrication allemande, mais comme elles nous étaient fournies uniquement par les prisonniers et les déserteurs, nous n’en avions pas beaucoup. Je gardais toujours dans ma poche un chargeur de cartouches allemandes ou mexicaines pour m’en servir en cas de situation critique. Mais, en fait, quand cela arrivait, je tirais rarement un coup de feu ; j’avais bien trop peur de voir ce sale engin s’enrayer et j’avais trop souci de me réserver la possibilité de faire à coup sûr partir une balle.
    Nous n’avions ni casques ni baïonnettes, presque pas de pistolets ou de revolvers, et pas plus d’une bombe par groupe de cinq à dix hommes. La bombe employée à cette époque était une terrible chose connue sous le nom de « bombe de la F.A.I. », parce qu’elle avait été fabriquée par les anarchistes dans les premiers jours de la guerre. Elle était faite sur le même principe que la grenade Mills, mais le levier était maintenu baissé non par une goupille, mais par un bout de cordon. Il fallait rompre le cordon et vous débarrasser de la bombe au plus vite. L’on disait de ces bombes qu’elles étaient « impartiales » : elles tuaient l’homme sur qui on les lançait et l’homme qui les lançait... Il y avait plusieurs autres types de bombes, plus primitives encore, mais peut-être un peu moins dangereuses – pour le lanceur, j’entends. Ce ne fut qu’à la fin mars que je vis une bombe valant la peine d’être lancée.
    Et en dehors des armes, il y avait également pénurie d’autres choses de moindre importance mais tout de même nécessaires à la guerre. Nous n’avions, par exemple, ni cartes ni plans ; le relevé topographique de l’Espagne n’avait jamais été complètement fait, et les seules cartes détaillées de cette région étaient les vieilles cartes militaires qui étaient presque toutes en la possession des fascistes. Nous n’avions ni télémètres, ni longues-vues, ni périscopes de tranchée, ni jumelles (à part quelques-unes qui étaient la propriété personnelle de miliciens), ni fusées ou étoiles éclairantes, ni cisailles, ni outils d’armurier, et même presque pas de matériel de nettoyage. Les Espagnols semblaient n’avoir jamais entendu parler d’écouvillons d’aucune sorte et ils restèrent là, à regarder, tout surpris, lorsque je me mis à en fabriquer un. Quand vous vouliez faire nettoyer votre fusil, vous l’apportiez au sergent qui possédait une longue baguette de fusil en laiton, laquelle étant invariablement tordue égratignait le rayage. On n’avait même pas d’huile de graissage pour fusil ; on se servait d’huile d’olive quand on pouvait en trouver ; à diverses reprises j’ai graissé mon fusil avec de la vaseline, avec du cold cream, et même avec du gras de jambon. Et de plus, on n’avait ni falots ni lampes électriques de poche – à cette époque il n’y avait, je crois, pas une seule lampe électrique de poche dans tout notre secteur de front, et il fallait aller jusqu’à Barcelone pour trouver à en acheter, et encore, non sans difficultés.
    Et tandis que le temps passait et que parmi les collines crépitaient des coups de feu tirés au petit bonheur, j’en vins à me demander avec un scepticisme croissant s’il arriverait jamais rien qui mît un peu de vie, ou plutôt de mort, dans cette guerre de biais. C’était contre la pneumonie que nous luttions, non contre des hommes. Quand les tranchées sont séparées par une distance de plus de cinq cents mètres, si quelqu’un est touché, c’est pur hasard.

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