Il neigeait
parfaitement
reposés s’y trouvent devant leurs mangeoires.
— Fichus menteurs ! dit Caulaincourt, très agacé,
qui ordonne au postillon d’harnacher quatre chevaux. Au bruit de l’altercation,
les autres postillons sortent des habitations. Ils menacent. Un énergumène
passe parmi eux, rougeaud, de gros sourcils se rejoignent pour lui barrer le
front. Sébastien ne comprend pas un mot de ses imprécations, jetées comme des
blasphèmes, qu’il crachote au visage de Caulaincourt. C’est le maître de poste.
Il lève son fouet et cingle l’air. Sébastien, qui s’est rapproché, reçoit la
lanière en pleine figure. Il a une estafilade rouge sur la joue. Caulaincourt attrape
l’homme au col de sa redingote et le plaque contre la paroi. Les chevaux
trépignent, nerveux. Sébastien, la joue en sang, menace avec son pistolet,
d’une main hésitante, les postillons qui grondent. Caulaincourt relâche le
maître de poste, tire son épée et lui en pique la pointe sur la gorge. Celui-ci
aboie des ordres, les chevaux sont immédiatement attelés au landau.
L’Empereur sort à ce moment au bras de la joueuse de
clavecin affolée :
— Caulaincourt, dites à Madame, dans sa langue, qu’elle
mériterait de venir jouer aux Tuileries.
— Est-ce que je peux ajouter : sans son
mari ?
— C’est l’épouse de ce lourdaud malveillant ?
— J’en ai peur, sire.
— Quel dommage ! En route.
Le piqueur lance l’attelage, Roustan saute en marche sur son
siège, ils reprennent la route quand le comte polonais revient avec des
gendarmes.
— Comte, suivez-nous avec vos gendarmes ! cria le
grand écuyer par la portière.
Il ajouta pour l’Empereur :
— Je flaire un mauvais coup.
— Ne voyez pas tout en noir, Caulaincourt.
— N’y a-t-il pas d’intrigues là-dessous ? Pourquoi
nous mentir ?
— Peut-être, avança Sébastien, qu’ils ne voulaient pas
abîmer leurs chevaux sur cette vilaine route.
— Si ce garçon avait raison ?
Et l’Empereur voulut tirer l’oreille de Sébastien, mais en
la cherchant sous les fourrures, ses doigts touchèrent un liquide poisseux, il
ôta sa main :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une blessure au service de Votre Majesté.
— Monsieur Roque a reçu un coup au relais.
— Bien bien…
L’Empereur s’essuya les doigts aux coussins du landau, avec
une moue dégoûtée, puis il se renfrogna dans un coin. Sébastien observait son
profil éclairé par le crépuscule, ses traits fins dans un visage gras. Napoléon
marmonnait : « Des intrigues, des intrigues… », et revint par
ces mots à son obsession dynastique, à la conspiration de Malet, à ce qu’elle
lui avait révélé de l’attitude de ses dignitaires :
— Malet ! Combien, à Paris, vont se faire mousser
pour que j’oublie leurs lâchetés, mais combien pensaient à une nouvelle
révolution plutôt qu’à une régence ? Vous les voyez, ces maréchaux, autour
de l’impératrice ? Pour l’assister ? Oh non, sûrement pas, mais pour
l’étouffer. J’imagine leurs pressions, leur avidité. Si je mourais tout retournerait
au néant. Ils ne font pas le poids, ils se jalousent.
— Vous avez souvent exacerbé leurs jalousies, sire.
— C’est vous qui me dites ça, monsieur le duc ?
Mon pauvre ami ! Si vous saviez les noms de ceux qui m’ont réclamé votre
perte ! Vous savez pourquoi ? Parce que votre noblesse à vous,
marquis d’Ancien Régime, date de plusieurs siècles et qu’ils en crevaient
d’envie. Duc de Vicence, vous vous en fichez pas mal, hein ? mais marquis
de Caulaincourt, non. Ce ramassis d’envieux ! Ils n’auront jamais le maintien
ni l’élégance des vrais nobles, dans dix ans ils seront aussi rustres ! Je
règne pour leurs enfants.
Derrière, loin derrière, reliques de ce qui fut une armée
imposante, à peine quelques milliers de gueux approchaient du Niémen. Dans la
cahute dont ils avaient ôté une partie du toit, comme d’habitude, pour le feu,
une dizaine de ces sauvages s’engourdissait autour des cendres.
— Monsieur, balbutiait Paulin entre ses lèvres
crevassées, Monsieur, il fait jour…
— La paix ! Je sais bien qu’il fait encore nuit noire
et que les braises nous protègent.
— Mais non…
Le grand Vialatoux passa une main devant les yeux ouverts du
capitaine. Il se tourna vers Paulin sans un mot. D’Herbigny avait la cornée
brûlée par le froid et l’éclat de la neige. Ils le
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