Il suffit d'un Amour Tome 2
abattue. La guerrière victorieuse d'Orléans avait fait place à une enfant amaigrie et inquiète. Après l'éclat sans pareil du sacre où elle avait pleuré de joie, après la joie immense de voir tomber devant elle les villages comme giboulées en mars, la Pucelle avait dû s'incliner devant les manœuvres tortueuses de La Trémoille, tout-puissant auprès du roi. Parce qu'un carreau d'arbalète l'avait blessée à l'épaule, devant la porte Saint-honoré, on l'avait obligée à quitter Paris, à se rabattre sur la Loire « pour hivernage » et l'armée avait traîné l'ange à sa suite comme une captive aux chaînes d'or.
— Ils disent que je dois me reposer, confia-t-elle à Catherine avec une indicible amertume. Mais j'aurais voulu voir Paris de plus près que je ne l'ai vu. Il fallait aller de l'avant, forcer la victoire. Dieu le voulait...
— Mais pas La Trémoille ! fit Catherine acerbe. Il vous déteste, Jehanne, et il vous jalouse. Pourquoi le roi écoute-t-il ce poussah orgueilleux ?
— Je ne sais...
Catherine alors n'avait pu retenir la question qui lui brûlait les lèvres.
Quand l'armée avait défilé dans les rues de Bourges, elle avait vainement cherché à l'avant-garde le chevalier à l'épervier d'argent. Nulle part elle n'avait vu Arnaud.
— Messire de Montsalvy ? Il ne lui est rien arrivé de fâcheux, n'est-ce pas ?
Le visage tiré de Jehanne d'Arc s'était éclairé d'un sourire.
— Il va bien. Je l'ai laissé à Compiègne que tient, pour le roi, le sire de Flavy. Flavy est un bon soldat mais il a le cœur d'une bête sauvage. Messire Arnaud a été chargé par moi de le surveiller... discrètement. Son cœur, à lui, est loyal et fidèle et j'ai toute confiance en lui...
Pareil compliment, venant de Jehanne, avait empli Catherine d'une joie instinctive, atténuant un peu la déception de n'avoir point vu revenir Arnaud. Et tandis que Jehanne trompait son impatience en coups de main contre Saint-Pierre-le-Moûtier qu'elle enleva, et la Charité-sur-Loire où le routier Perrinet Gressard la tint en échec, Catherine reprit sa vie d'oraisons et d'éternelles broderies.
Une seule fois, à la Noël, elle vit une vraie fête i et put contempler les splendeurs de Mehun-sur-Yèvre où le duc Jean avait entassé une fantastique collection de joyaux, tapisseries, livres rares, œuvres d'art, intailles, peintures et sculptures. Le château lui- même était un joyau : un jaillissement de pierres , blanches et lisses issu des eaux vertes de l'Auron,
| des tours altières couronnées de pierre ciselée, des 1 toits bleus timbrés de girouettes dorées, une chapelle aérienne à force de sveltesse, une inoubliable vision de beauté. Là, solennellement, le roi conféra à Jehanne d'Arc et à ses parents des lettres de noblesse pour eux et leurs descendants, ainsi que des armoiries montrant sur champ d'azur une épée couronnée d'or et flanquée de deux lis. Mais ces hochets de vanité ne consolaient pas celle qui était devenue ainsi Jehanne du Lis. Elle ne s'attarda pas dans les délices de Mehun et regagna Bourges où elle logeait chez une femme de grande vertu, Marguerite La Touroulde. La reine Marie, dont Charles VII ne souhaitait guère la présence, en fit autant et revint en son palais.
Catherine, bien entendu, suivit avec Marguerite de Culant et les autres dames de parage. Pour une fois, elle était heureuse de retrouver la vie morne qui l'irritait tant depuis son arrivée. Elle n'avait pas aimé le regard énigmatique mais étrangement pesant que La Trémoille avait laissé peser sur elle pendant la cérémonie d'anoblissement. Et les yeux verts de sa femme n'étaient guère plus rassurants.
L'hiver passa. Revint le printemps avec ses frêles verdures. Revint aussi le temps des armes et Jehanne, rongée d'inaction, n'y tint pas. Apprenant que Philippe de Bourgogne assiégeait Compiègne, elle partit, un matin, à l'aube, avec une poignée de compagnons...
Un soir de la fin mai, Catherine avait été chargée par la reine Marie de surveiller le transport de ses pelisses de fourrure que, chaque fin de printemps, elle faisait porter chez son pelletier pour qu'il les fît nettoyer, vérifier et mettre en état pour l'hiver suivant. C'était une femme fort économe que la reine Marie et elle prenait le plus grand soin de ses vêtements. Catherine était donc partie, à cheval, avec les deux chariots qui transportaient les fourrures royales, pour le court trajet séparant le
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