Il suffit d'un Amour Tome 2
qu'elle était par la peur d'arriver trop tard et de ne plus trouver qu'un cadavre déjà froid. Pour se soutenir, elle n'avait qu'une pensée, mais grisante ; il l'avait demandée, elle ! C'était vers elle qu'il avait envoyé Xaintrailles ; vers elle seule !
Que pouvait signifier cet appel ultime au seuil de la mort, sinon qu'enfin il laissait parler son amour, qu'enfin il s'abandonnait. Et Catherine, du fond de son désespoir, implorait Dieu de permettre qu'elle arrivât à temps pour, au moins, recueillir le dernier regard, le dernier souffle de celui qui avait été toute sa vie et dont un tragique malentendu l'avait toujours séparée.
— Au moins cela, Seigneur, au moins cette minute-là ! suppliait tout bas Catherine. Après, je pourrai mourir...
Ce fut une chevauchée terrible, épuisante, aux limites même de la résistance humaine. On courait jusqu'à ce que les chevaux fussent près de tomber.
On s'arrêtait une heure, le temps de manger un peu de pain, d'avaler un verre de vin et de se tremper la figure dans une cuvette d'eau, pour Catherine et Sara tout au moins, tandis que Xaintrailles récupérait des chevaux frais qu'il payait royalement d'une poignée d'or pourvu qu'ils fussent solides. Lui-même mangeait en selle. Il paraissait construit d'un acier inaltérable. Rien n'avait de prise sur cet homme au courage inhumain qui, déjà, à l'aller, avait parcouru ce chemin au même train d'enfer. La fatigue et les courbatures brisaient Catherine mais pour rien au monde elle n'en eût convenu. Elle serrait les dents sur les gémissements qu'au galop du cheval lui arrachaient son dos meurtri, ses cuisses écorchées. Sara non plus ne disait rien. Comme Catherine, elle serrait les dents, comprenant trop bien que toute la vie de la jeune femme était suspendue au faible souffle subsistant encore dans le corps blessé d'Arnaud de Montsalvy. Et Sara n'osait même pas penser à ce qui se passerait si le capitaine avait cessé de vivre avant leur arrivée. Catherine avait tant souffert, par lui et pour lui, que la fidèle tzigane s'épouvantait de la somme de douleur que représenterait cette mort. Catherine surmonterait-elle cet écroulement de sa vie ?... ou bien...
Au soir du troisième jour, les trois cavaliers rompus de fatigue s'enfoncèrent enfin dans l'immense forêt de Guise qui, de Compiègne à Villers-Cotterêts, tenait tout le pays.
— Nous arrivons, fit Xaintrailles. Encore trois petites lieues ! Les Bourguignons et les Anglais sont campés au nord, passé l'Oise. On peut entrer par le sud sans difficultés. Cette forêt enveloppe la ville plus qu'à demi.
Catherine fit signe qu'elle avait compris. Même la parole lui était devenue pénible. Elle voyait les choses à travers un brouillard et suivait passivement, soutenue seulement par un instinct plus fort que sa lassitude. Derrière elle, Sara dormait à cheval et il avait fallu l'attacher à sa selle pour l'empêcher de tomber continuellement.
Ces trois dernières lieues parurent interminables à Catherine. Les arbres succédaient aux arbres sans jamais laisser deviner les murailles d'une ville.
Et ce voyage au bout de la nuit, au bout des arbres, avait quelque chose d'hallucinant !... Quand, enfin, la forêt s'éclaircit, livrant la silhouette rigide de Compiègne, Xaintrailles s'avança seul jusqu'au bord du fossé plein d'eau pour appeler le guetteur, ignorant si, en son absence, l'ennemi ne s'était pas rendu maître de la ville.
— S'il en est ainsi, avait-il dit à ses compagnes, vous fuirez aussitôt et chercherez refuge dans la forêt.
— N'y comptez pas ! lui avait répondu Catherine. Là où vous irez, j'irai !
Et il avait eu beaucoup de peine à la convaincre de le laisser avancer seul.
Mais la ville tenait toujours bon et, bientôt, le petit pont d'une poterne s'ouvrait devant les trois voyageurs qui le franchirent à pied, tenant leurs chevaux par la bride. Au-delà, un arbalétrier attendait, une torche à la main.
Xaintrailles s'adressa à lui, anxieusement.
— Sais-tu si le capitaine de Montsalvy est toujours vivant ?
— Il l'était encore au coucher du soleil, messire. Il avait même sa connaissance. Mais, pour l'heure présente, je l'ignore.
Sans répondre, Xaintrailles aida les deux femmes à remonter à cheval.
Sans lui, Catherine n'y fut sans doute jamais parvenue. Ses jambes tremblaient sous elle et refusaient de la porter. Xaintrailles l'enleva dans ses bras pour la remettre en selle puis rendit à
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