Il suffit d'un Amour Tome 2
envoyé vers toi en me disant que tu étais en danger. Viens avec moi. Où?
— Viens, te dis-je. Nous n'allons pas loin, seulement chez moi.
Le paroxysme de douleur où elle se débattait depuis le retour de Garin avait brisé chez Catherine toute résistance. Elle se laissa emmener comme une enfant, par la main.
La chambre aux griffons avait beaucoup changé depuis que le médecin maure en avait pris possession. Le faste de son décor n'était aucunement amoindri, bien au contraire : une foule de coussins, de tapis, répandus un peu partout, en faisaient une orgie de couleurs. Mais la plupart des meubles avaient disparu. Seule, une grande table basse, tenant tout le milieu, gardait un air occidental. Encore disparaissait-elle sous d'énormes livres, des paquets de plumes d'oie et des godets d'encre. Sur le manteau de la cheminée et sur des étagères, une infinité de fioles, de pots, de cornues, de bocaux s'empilait.
La pièce voisine, dans le mur de laquelle Garin avait fait ouvrir une porte pour qu'elle communiquât avec la chambre, était garnie de la même façon et tout embaumée par les sacs d'épices et les paquets d'herbes dont Abou-al-Khayr avait toujours une ample provision. Elle contenait, en plus, une sorte de grand fourneau noir sur lequel bouillaient en permanence d'étranges mixtures.
Mais ce n'est pas dans cette pièce, où s'affairaient ses esclaves noirs, que le médecin fit entrer Catherine. Au contraire, il en ferma soigneusement la porte, fit asseoir la jeune femme sur un coussin auprès de la cheminée, et alla jeter une poignée de brindilles sur les braises du feu. Celui-ci se remit à brûler avec de hautes flammes claires. Sur une étagère, il prit une boîte d'étain et une paire de ciseaux, puis revint vers la jeune femme qui, les yeux perdus, regardait danser les flammes.
— Permets que je coupe une boucle de ces magnifiques cheveux, dit-il doucement.
Elle lui fit signe, sans répondre, d'agir comme bon lui semblerait. Il coupa, près de l'oreille gauche, une mèche dorée, la tint un moment entre ses doigts, le regard tourné vers les solives du plafond, récitant à mi-voix des paroles incompréhensibles. Intriguée, malgré elle, Catherine le regardait faire...
Soudain, il jeta la mèche dans le feu, ajouta une pincée de poudre prise dans la boîte d'étain. Etendant les mains vers les langues de feu qui montaient maintenant, plus hautes et plus ardentes, avec un reflet d'un bleu-vert magnifique, il prononça une sorte de conjuration puis se pencha, fixant les flammes avec intensité. On n'entendait plus, dans la grande pièce calfeutrée, que le crépitement du brasier... La voix d'Abou-al-Khayr s'éleva, prophétique, toute différente de ce qu'elle était d'habitude :
— L'esprit de Zoroastre, maître du passé et de l'avenir, me parle par les voix du feu, son divin conducteur. Ton destin, ô jeune femme, est de traverser la nuit pour aller vers le soleil, comme fait la terre notre mère. Mais la nuit est profonde et le soleil encore lointain. Pour l'atteindre — car tu l'atteindras — il te faudra plus de courage que tu n'en as encore jamais déployé. Je vois des difficultés, du sang... beaucoup de sang. Les morts jalonnent ton chemin comme les autels du feu jalonnent la montagne de Perse. Les amours aussi... mais tu passes, tu passes toujours. Tu pourras être presque reine, mais tu devras tout rejeter si tu veux vraiment saisir le bonheur...
— Catherine toussa. Les fumées sulfureuses qui s'échappaient de la cheminée l'étouffaient à moitié. A mi-voix, impressionnée, elle demanda : Y
a-t-il vraiment un bonheur possible pour moi ?
— Le plus grand, le plus absolu mais... oh ! quelle chose étrange. Écoute
: tu toucheras enfin à ce bonheur quand tu verras flamber les fagots d'un bûcher...
— Un bûcher ?...
Abou-al-Khayr perdit son attitude hiératique et raidie. Il essuya, du revers de sa large manche, son front en sueur.
— Je ne peux t'en dire plus. J'ai vu le soleil au-dessus d'une fournaise où brûlait une forme humaine. Tu dois être patiente et forger toi-même ton destin. La mort ne t'apporterait que le néant dont tu n'as nul besoin...
Il alla vers la fenêtre qu'il ouvrit en grand afin de faire partir l'épaisse fumée de soufre accumulée dans la pièce. Catherine se releva et secoua machinalement sa robe froissée. Son visage demeurait tendu, son regard triste.
— Je déteste cette maison et tout ce qu'elle représente.
—
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