Il suffit d'un Amour Tome 2
Va chez ta mère quelques jours. Tiens, dans cette maison où les paysans m'avaient apporté comme un paquet ! Le temps des vendanges est venu. Va rejoindre les tiens, ta mère et mon vénérable ami Mathieu pour quelques jours.
— Mon mari ne me laissera pas quitter sa maison.
— Seule, peut-être pas. Mais j'irai avec toi. Il y a longtemps que j'ai envie de voir comment se fait ici la cueillette du raisin. Nous partirons ce soir... mais auparavant tu me rendras ce flacon que je t'ai imprudemment donné.
Catherine hocha la tête et adressa à son étrange ami un pâle sourire.
— Inutile ! Je ne m'en servirai plus... Vous avez ma parole ! Mais je tiens à le garder.
Dans l'après-midi, pendant que Garin s'était rendu chez Nicolas Rolin, Catherine quitta son hôtel avec Abou-al-Khayr après avoir remis à Tiercelin une lettre pour son mari. Quelques heures plus tard, tous deux arrivaient à Marsannay où Mathieu et Jacquette les accueillirent chaleureusement.
En fait de coin tranquille pour y guérir un cœur endolori, Marsannay, durant les vendanges, n'était pas l'idéal. DuMorvan voisin, garçons et filles étaient descendus par bandes joyeuses pour aider à la récolte, comme à Gevrey, à Nuits, à Meursault, à Beaune et dans tous les villages de la Côte.
Il y en avait partout, couchant dans la paille des granges ou sous tous les auvents, comme le permettait le temps encore doux. Et cela créait un continuel tintamarre de rires, de chants, de plaisanteries plus ou moins grivoises. D'un bout à l'autre de la journée, les vendangeurs ployés sous les hottes débordantes de grappes noires au grain serré chantaient à pleine gorge
:
Aller en vendanges, Pour gagner dix sous,
Coucher sur la paille, Ramasser des poux...
ce qui était de la fausse mauvaise humeur, car la chanson était joyeuse. Il y avait, d'ailleurs, toujours à l'arrière-plan la voix gaillarde d'une fille ou d'un garçon pour proclamer :
Le vin est nécessaire,
Dieu ne le défend pas,
Il eût fait la vendange amère...
Mais Catherine se tenait résolument à l'écart de tout ce tohu-bohu quelque peu débraillé. Elle demeurait toute la journée dans la chambre haute de ta maison, assise auprès de sa mère, filant comme autrefois ou tissant la toile en laissant, de temps en temps, son regard errer sur l'étendue rousse des vignes. Elle aimait, le matin, regarder se déchirer les écharpes de brume sous les flèches du soleil et, le soir, contempler l'incendie que le couchant allumait sur le vignoble. Celui-ci, lentement, passait de l'or au pourpre à mesure que le temps coulait.
Jacquette Legoix n'avait posé aucune question à sa fille quand elle l'avait vue arriver, pâlie et les traits tirés. Une mère devine toujours la souffrance de son enfant, même quand cette souffrance est bien cachée. Elle se contentait de dorloter Catherine comme une convalescente et jamais ne lui parlait ni de Garin, qu'elle n'aimait guère, ni de Sara qui l'avait profondément déçue. Catherine était venue chercher la paix familiale, un total dépaysement d'avec le milieu dans lequel son étrange mariage l'avait jetée, c'était cela que Jacquette s'employait à lui donner... Quant à l'oncle Mathieu et son ami arabe, on ne les voyait pas de la journée. Tant qu'il y avait au ciel un rayon de lumière, Mathieu parcourait ses vignes, manches retroussées, aidant ici et là, prêtant la main pour débarrasser une hotte ou emplir un haquet. Et Abou- al-Khayr, ses fantastiques turbans remplacés pour une fois par une calotte de laine, les pieds enfouis dans des brodequins qui l'engloutissaient jusqu'à mi-jambe et une souquenille de grosse toile passée sur ses vêtements de soie, il trottait tout le jour sur les talons de son ami, les mains au dos, l'air prodigieusement intéressé, grappillant continuellement. À la nuit close, tous deux rentraient exténués, rouges de chaleur, sales à faire frémir et heureux comme des rois.
Catherine, cependant, ne s'illusionnait guère sur le temps que durerait sa tranquillité. Que huit jours se fussent écoulés sans apporter aucune nouvelle de Dijon était déjà extraordinaire. Tôt ou tard, Garin tenterait de la ramener puisqu'elle était l'enjeu de la meilleure affaire jamais conclue par lui. Et chaque soir, lorsqu'elle se couchait, elle s'étonnait que la journée se fût écoulée sans avoir vu paraître sa silhouette sombre.
Mais ce ne fut pas Garin qui arriva le premier. Celui qui ouvrit la
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