Il suffit d'un Amour Tome 2
Il suffit seulement de te bien connaître. Tu as toujours dans ta manche une grâce « impossible » à me demander... même quand tu n'as pas de manches. Crois-tu que j'ignore ton amitié pour cette sotte d'Odette de Champdivers ? Ma police est mieux faite que cela, belle dame.
— Alors ? fit Catherine, la gorge soudain serrée.
Qu'est-ce que le duc de Bourgogne va faire des conspirateurs ?
— Le duc de Bourgogne n'en fera rien du tout, pour ne pas faire pleurer les beaux yeux que voilà. La fille, le moine et le trafiquant iront se faire pendre ailleurs. On les libérera... mais je ne peux faire moins que les expulser. Ton Odette devra quitter la Bourgogne. Elle ira en Savoie où on la casera quelque part. Le moine retournera à son mont Beuvray avec interdiction de franchir nos frontières et le marchand regagnera Genève. Tu es contente ?
— Oh ! s'écria Catherine débordante de reconnaissance, les yeux brillants comme des étoiles. Oh oui !
— Alors, je te rappelle que tu me dois un gage. J'ai deviné juste. Paie, maintenant !
Catherine paya avec enthousiasme et tant d'ardeur que Philippe fut bientôt comblé.
Matines devaient être chantées depuis longtemps au couvent Saint-Etienne, voisin du palais, quand Catherine, ses muets sur les talons, regagna sa demeure. La nuit était d'un noir d'encre et le froid cinglait son visage sous le capuchon baissé, mais la joie qu'elle emportait lui tenait chaud. Elle savait que, dans la matinée, Odette serait libérée, qu'elle pourrait la garder chez elle vingt-quatre heures puis la remettre à l'escorte chargée de la mener aux frontières de Bourgogne. L'exil n'aurait rien d'affreux car la jeune femme se promettait de bien munir son amie et le moine de manière à ce qu'ils ne manquassent de rien...
Elle était très fatiguée. Une journée de cérémonies écrasantes ajoutée à une nuit de plaisir, il y avait là de quoi abattre quelqu'un de plus solide. Mais, en se hâtant vers sa maison chaude, Catherine songeait avec plaisir à son lit douillet, bien clos, à la douceur de ses draps. Elle se sentait extraordinairement bien, malgré son état... détendue comme cela ne lui était pas arrivé depuis la Noël. Elle était sûre de dormir comme un ange.
Rentrée dans sa chambre, elle se hâta de se dévêtir et de se glisser dans le lit que Perrine, réveillée en sursaut, s'était précipitée pour lui bassiner pendant qu'elle se déshabillait. Tout était tranquille dans la maison. On n'entendait aucun bruit.
— Ne me laisse pas dormir trop longtemps demain matin, recommanda Catherine à la jeune fille. Il faut que j'aille à la prison vers le milieu de la matinée pour y chercher dame Odette. Et je suis si lasse que je pourrais dormir jusqu'au soir.
Perrine promit, se retira sur une révérence. Catherine, bien protégée derrière ses rideaux de soie, ne tarda pas à tomber dans un profond sommeil.
Elle fut tirée de sa bienheureuse inconscience par un fait étrange et brutal.
Des mains s'étaient saisies d'elle, l'empoignaient aux épaules et aux cuisses, la soulevaient dans les airs, l'emportaient. Ses yeux gros de sommeil devinèrent, dans une pénombre grisâtre, qui était peut-être le tout petit jour, des formes sombres et confuses qui s'agitaient. Sa chambre, qu'elle avait peine à reconnaître, semblait pleine de fantômes. Ces ombres ne faisaient pas le moindre bruit et ce silence ajoutait à l'impression de cauchemar.
Comme pour sortir d'un rêve, Catherine voulut crier. Mais, si sa voix s'arrêta sur ses lèvres, ce ne fut pas à cause de l'étrange impuissance née d'un songe pénible, mais bien parce qu'une main s'était abattue sur sa bouche. Elle comprit, alors, qu'elle ne rêvait pas, qu'on l'enlevait bel et bien. Mais qui ?
Toutes ces ombres portaient des masques... D'autres mains, sans douceur, la roulaient dans une couver ture qu'on rabattit sur sa tête. Une obscurité totale, étouffante, engloutit la jeune femme terrorisée.
Elle perçut un vague chuchotement puis on l'emporta. En pensée, elle suivait le chemin parcouru, la galerie, l'escalier... marche à marche. Les deux hommes qui la portaient, sans précautions, la secouaient comme un panier. Elle ne pouvait crier car on l'avait bâillonnée... Une brusque bouffée d'air glacial lui apprit qu'elle était dans la cour. Tout cela n'était que trop réel et pourtant la sensation de rêve absurde demeurait. Comment pouvait-on l'enlever dans cette maison pleine de monde
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