Il suffit d'un Amour Tome 2
plus d'intensité que le dernier regard de son mari, au fond du « crot », la poursuivait. S'ils n'avaient été l'un comme l'autre victimes d'une terrible fatalité, quel eût été leur sort commun ? Le bonheur, peut-
être, eût , été possible.
A Dijon, Catherine n'avait rien laissé, que des regrets. Même sa mère et son oncle avaient quitté la rue du Griffon pour s'installer définitivement à Marsannay. L'oncle Mathieu était assez riche pour vivre sur ses terres et ne souhaitait plus « vivre enfermé dans le fond d'un sillon » comme il disait lui-même. Loyse était au couvent de Tart, Landry à Saint-Seine. Quant à Ermengarde, la mort de la duchesse-douairière lui avait porté un coup sensible. Elle aussi avait décidé de se retirer dans son domaine de Châteauvillain.
— J'y élèverai votre enfant, avait-elle dit à Catherine. Le sang ducal doit lui valoir une éducation choisie. Nous en ferons un chevalier ou bien une dame accomplie...
La pensée de l'enfant à naître n'éveillait aucune joie en Catherine alors qu'elle paraissait inspirer à Ermengarde une profonde satisfaction. La comtesse se sentait une âme de grand-mère et l'idée de pouponner l'enthousiasmait. Peut-être parce qu'elle n'avait plus grand monde à aimer.
Son époux vivait auprès de Philippe, un peu trop joyeusement pour son âge déjà avancé. « Il ne se rendra jamais compte qu'il n'est plus un jeune homme et que les femmes sont encore ce que l'on trouve de plus fatigant comme passe-temps ! » disait la comtesse avec philosophie. Cela ne la chagrinait guère. Il y avait beau temps que l'amour était mort entre elle et son légitime seigneur. Quant à son fils, il guerroyait dans les armées de Jean de Luxembourg et elle ne le voyait pas souvent. Il était grand amateur de beaux coups d'épée. « C'est de son âge et c'est de sa race ! » disait de lui Ermengarde. L'enfant qui devait naître de Catherine serait le bienvenu pour l'aider à supporter l'ennui d'une vie à la campagne car elle était bien décidée à demeurer désormais à Châteauvillain, pour y cultiver ses terres et y tenir ses paysans d'une main vigoureuse.
Derrière les hautes murailles solides de la forteresse, si semblables à leur maîtresse par l'impression de sûreté qu'elles donnaient au premier abord, Catherine vécut les jours paisibles dont elle avait le plus grand besoin. La demeure féodale dont les tours grises se miraient dans les eaux calmes de l'Aujon lui offrit un havre de paix et de longues soirées passées à contempler le coucher du soleil par-dessus les frondaisons de la forêt. C'est là qu'un matin d'août, après une dure nuit de combat contre la souffrance, Catherine donna le jour à un petit garçon que le chapelain du château baptisa sur l'heure du nom de Philippe... Ermengarde délirait de joie en regardant la nourrice, choisie par elle entre mille, emmailloter le nouveau-né. Elle était, certes, plus heureuse que Catherine elle-même. Le sentiment maternel ne vibrait pas très haut chez celle-ci. Elle n'avait pas désiré d'enfant de Philippe. L'amour qu'elle pouvait éprouver pour lui était plus de chair que d'esprit. Il l'attirait, il savait faire couler du feu dans ses veines et aussi la rendre profondément heureuse au moment de l'amour mais elle n'avait jamais déliré pour lui, brûlé de lièvre et d'ardeur et de passion, comme elle avait brûlé pour Arnaud. Et son absence ne lui pesait pas autrement.
Pourtant, quand il était venu à Châteauvillain, un mois environ après la naissance de l'enfant, elle en avait éprouvé de la joie. Philippe dégageait un charme magnétique et, auprès de lui, Catherine parvenait à se persuader aisément qu'il suffirait à emplir sa vie. Il s'était jeté à ses pieds pour implorer son pardon de n'être point venu plus tôt, il avait juré qu'il l'aimait plus que jamais et il le lui avait passionnément prouvé la nuit même de son arrivée.
Entre ses bras, Catherine s'était sentie revivre. Les sensations profondes, si ardentes, qu'il avait le don de lui offrir, réveillèrent en elle le goût de la vie, la coquetterie, l'envie d'être belle.
Il ne lui cacha pas, alors, qu'il allait se remarier. Mariage de convenance s'il en fut : il devait, au mois de novembre, épouser la comtesse Bonne d'Artois, beaucoup plus âgée que lui et veuve du propre oncle de Philippe, le comte de Nevers tué à Azincourt. Bonne était douce, timide, effacée et maladive mais son
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