Il suffit d'un amour
aussi se sent quand on s'y connaît.
Catherine fit toute une affaire de brosser la robe écarlate et de l'étendre sur l'immense lit qu'elle devait partager avec la Grande Maîtresse. Cela lui permettait de cacher la rougeur que les paroles un peu trop directes d'Ermengarde avaient fait monter à son front. Mais la comtesse avait des yeux particulièrement perçants.
— Laissez donc cette robe, s'écria-t-elle gaiement. Ne jouez pas les prudes et les sottes avec moi et ne vous cachez pas pour rougir à l'aise afin de me faire croire que mes paroles vous choquent. Je vous ai dit ce que je ferais si j'avais vingt ans de moins... si j'étais vous, par exemple.
— Oh ! s'écria Catherine scandalisée.
Je vous ai déjà dit de ne pas faire la prude et j'ajoute : ne me prenez pas pour une sotte, Catherine de Brazey. Je suis une vieille bête, mais je sais lire sur un visage quand s'y peignent l'amour et le désir. Et il était fort heureux pour vous que votre époux n'y vît que d'un œil, au bal de l'autre soir. Il n'était pas un trait de votre visage qui ne proclamât votre amour pour cet homme.
Ainsi, le secret que Catherine avait cru si bien enfoui au fond de son cœur pouvait se lire sans peine sur sa figure ? Qui d'autre, en ce cas, avait su s'en rendre maître et, parmi tous ceux qui assistaient à la fête de fiançailles, combien avaient compris le lien invisible et mystérieux tendu entre le chevalier noir et la dame au diamant nocturne ? Garin peut-être, qui s'était montré si taciturne depuis, ou encore le duc Philippe. D'autres femmes, sans doute, avec leurs yeux toujours à l'affût des faiblesses de leurs rivales pour s'en faire des armes mortelles...
— Ne vous tourmentez donc pas, poursuivit dame Ermengarde pour qui, décidément, le visage mobile de Catherine n'avait pas de secrets. Votre mari est borgne et quant à Monseigneur, il avait bien trop à faire avec votre beau chevalier pour s'occuper de vous à cet instant. Et, ne vous déplaise, quand il y a au milieu d'elles un gaillard comme cet Arnaud, les femmes ne voient que lui et ne perdent pas leur temps à s'observer entre elles. Chacune pour soi !... Allons, ne vous torturez pas ainsi ! Tout le monde ne pratique pas la physionomie comme je le fais... et tout le monde n'est pas votre amie comme je le suis ! Votre secret sera bien gardé.
A mesure qu'elle parlait, Catherine sentait sa gorge se détendre et l'inquiétude d'un instant fit place à un vif soulagement. Elle était heureuse aussi de découvrir auprès d'elle cette amitié inattendue et sûrement sincère. Ermengarde de Châteauvillain était célèbre pour la liberté avec laquelle elle affichait ses sentiments et, jamais au grand jamais, elle ne se fût abaissée à simuler quoi que ce fût, dût sa vie en dépendre. Elle avait bien trop le sentiment de sa noblesse pour cela.
Mais la hauteur du rang ne l'empêchait pas d'être aussi curieuse que n'importe quelle autre femme. D'un geste sans réplique, elle prit Catherine par le bras, la fit asseoir auprès d'elle sur le grand lit et lui adressa un sourire rayonnant.
— Maintenant que j'ai deviné la moitié de l'affaire, contez-moi donc le reste, ma chère. Outre que je brûle de vous aider dans cette aventure, rien ne me plaît autant qu'une belle histoire d'amour...
— Je crains que vous ne soyez déçue, soupira Catherine... Il n'y a pas grand-chose à raconter.
Il y avait longtemps qu'elle n'avait éprouvé pareil sentiment de sécurité. Dans cette grande chambre au plafond bas, éclairée seulement par les flammes de la cheminée, assise auprès de cette femme solide et sûre, elle vivait là une halte nécessaire, un précieux moment de confiance qui allait lui permettre, en se racontant, de faire le point de son propre cœur. Au-delà des murs, il y avait la ville agitée, la foule des hommes qui, demain, regarderaient deux de leurs semblables s'entr'égorger. Confusément, Catherine sentait qu'ensuite le temps du repos serait révolu, que la route ouverte devant elle serait difficile, qu'elle s'écorche- rait les genoux et les mains aux pierres cruelles d'une voie douloureuse dont elle ne voyait encore que le premier méandre. Quel était donc ce vers qu'un jour Abou-al-Khayr lui avait murmuré ? « Le chemin de l'amour est pavé de chair et de sang. » Mais elle était prête à laisser sa chair lambeau par lambeau, son sang goutte à goutte aux épines du chemin, pour vivre son amour, ne fût-ce qu'une
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