Kommandos de femmes
je croyais que nous n’avions plus de gardiens, encore un bobard comme d’habitude !
Mais en regardant mieux, je réalise qu’il porte un béret et que son uniforme n’est pas vert comme ceux des Allemands. Mes pensées vont vite et tourbillonnent dans ma tête : serait-ce donc ceux que l’on attend depuis si longtemps ?
Il se met à gesticuler et à faire de grands signes en agitant les bras. Il parle très fort et semble appeler du renfort.
Je n’ai rien compris, mais je sais qu’il s’est exprimé en anglais. Enfin eux !
Une agitation fébrile semble s’être emparée du camp, et quoique je ne sois pas sortie du block depuis des jours et des jours, les filles valides m’ont dit que nos bourreaux s’étaient échappés. Oh ! non pensais-je pas ça, il faut qu’ils paient pour tous leurs crimes. Une telle monstruosité dans l’ignoble ne peut pas rester impunie !
Une fille se précipite dans le block, et se met à hurler comme une folle :
— Les Anglais ! Les Anglais sont là, je les ai vus !
Serait-ce vraiment possible qu’ils soient enfin arrivés ! Donc j’avais bien vu. Je ne me trompe pas. Je voudrais tant me lever pour les accueillir, mais je ne puis faire un geste tant je suis faible. J’essaie un sourire, qui doit ressembler à un affreux rictus.
Je les vois qui se précipitent et s’agitent autour de nous comme des marionnettes.
Dans un murmure, je dis à maman :
— Enfin, ils sont là, nous sommes libres, tu entends, libres.
Des paupières, elle me fait signe qu’elle a compris, elle est trop faible pour parler.
L’odeur qui se dégage de notre corps est infecte. Un vague sursaut de honte impuissante me submerge, en pensant à tous ces hommes qui vont s’occuper de nous. Le dégoût ne va-t-il pas se lire sur leur visage ? Bah ! qu’importe, je n’y pense déjà plus.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils nous sortent du block et nous posent doucement à terre. Leurs gestes sont un peu gauches, mais ils nous manient avec une certaine douceur de peur de nous briser en deux tant nous sommes affreusement maigres, maigres à faire peur. Nos robes remplies de vermines nous sont arrachées plutôt qu’enlevées et nous nous retrouvons enroulées dans des couvertures et posées délicatement sur des civières. Pas le temps de dire ouf !
Tout autour de moi, ce n’est que cris, appels, sanglots plaintifs, ordres donnés à une cadence accélérée, allées et venues des ambulances militaires. Lorsque j’ouvre les yeux, et que je regarde ces jeunes soldats, je vois à leur tête qu’ils ont l’air complètement déboussolés, dépassés par les événements. On le serait à moins ! Leur regard, à tous, reflètent une incrédulité et une horreur sans borne en contemplant les lieux et nos corps squelettiques. Ça dépasse l’imagination et ils doivent se demander s’ils ne font pas un cauchemar. Un jeune soldat est là, il est figé. Sur son visage poupin, coulent de grosses larmes silencieuses. Il semble pétrifié. Sans doute, doit-il penser à sa mère ou à sa sœur ?
Il faut qu’ils fassent vite, c’est vrai, car nous sommes à bout de résistance, à la dernière limite de nos forces.
Maman est emportée sur une civière, je la suis des yeux, espérant que je vais être mise avec elle, dans la même ambulance. Mais non ! Ils ferment les portes. C’est fini, elle démarre et s’éloigne en faisant attention de ne pas rouler sur les cadavres étalés dans tous les coins.
Je n’ai même pas eu la force de leur crier que c’était ma mère et que je voulais partir avec elle.
Mon tour arrive, bien enroulée jusqu’au menton dans une épaisse couverture, je suis posée sur une civière et portée dans l’ambulance. Je ne sais que geindre doucement, on dirait que mon ventre charrie du feu, tant ça me brûle. J’ai soif. Au passage, mes yeux accrochent la branche rabougrie d’un arbre noir et le vol d’un corbeau. Les portes se sont refermées, et l’ambulance démarre.
Je ferme les yeux, trop bien au chaud pour faire un effort, même des paupières. J’aurais tant voulu pourtant leur dire ma reconnaissance, la joie immense que m’a procurée leur arrivée tant attendue, depuis des mois et des mois.
Mais rien, rien ne vient, c’est comme si j’étais muette, une boule me serre la gorge et soudain des larmes se mettent à couler toutes seules, larmes de bonheur, de délivrance, enfin, des larmes toutes simples qui
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