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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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avaler ma salive !
    — T’en fais pas va, lui dis-je, désinvolte, c’est loin des pieds quand la bête est grande ! Allez, laisse-moi dormir, et fais-en autant, demain tu n’y penseras plus.
    Et la fatigue l’emportant, je me laisse mollement bercer par le dieu des songes… Que c’est bon de dormir, même dans de telles conditions, de laisser la triste réalité au vestiaire et de ne plus penser à rien. Le matin revenu apporte avec lui son inévitable cortège de froid et son intolérable appel. Debout, toujours debout. On essaie de retarder le plus possible ce pénible moment, jusqu’à ce qu’ils nous lâchent les chiens. J’ouvre un œil comateux sur ce qui m’entoure et je vois Germaine qui dort, la bouche ouverte, à dix centimètres de la mienne. Du pus coule au coin de ses lèvres. Je la secoue pour la faire lever mais sans résultat. Son visage a une drôle de couleur, crayeuse, son nez est pincé. Je prends sa main. J’ai l’impression de toucher du marbre tant elle est glacée et les doigts raides. Pas besoin d’épiloguer : la mort a fait son œuvre, tout est fini. Bien fini. Anéantie, malgré tout je reste un instant devant son pauvre cadavre.
    Pourtant, j’en ai vu mourir des femmes, des centaines, mais cette mort-ci me touche car nous nous connaissions bien et, malgré nos engueulades, nous étions potes. Qu’elle était drôle parfois, pétulante dans les premiers temps. Plus jamais je n’entendrais ton rire grinçant qui m’exaspérait tant. Jamais plus tu ne cligneras de l’œil lorsque tu te moquais. Pardonne-moi, amie, pardonne ma dureté d’hier. Je ne savais pas…
    Partant au hasard avec une jeune des Pyrénées, nous sommes tombées en arrêt devant un chapiteau. Ça ne doit pas faire longtemps qu’il est là, car je ne l’avais jamais vu. Alors, en fouineuses à qui chaque nouvelle chose donne un prétexte de découverte, traînant la savate, nous avançons lentement.
    — Dis donc, regarde, on dirait un cirque ? Qu’est-ce que c’est d’après toi ?
    — Sais pas, il n’y a qu’à aller voir. Peut-être que c’est vide, et nous allons pouvoir dormir tranquilles, ça serait au poil !
    On soulève donc un des pans, on fait un pas, on n’en fait pas deux. La tente marabout que l’on prenait bêtement pour un chapiteau, est pleine à ras bord, si j’ose dire, de cadavres entassés les uns contre les autres, dans des poses les plus grotesques et indécentes. Ils avaient été jetés là, pêle-mêle, sans distinction de leur sexe, car il y avait là, hommes et femmes. Sur le moment nous sommes restées clouées sur place, c’en était trop. Pourtant, où que nos yeux se portent, à n’importe quel endroit du camp, ils ne rencontrent que cadavres.
    — Impensable, Dante n’a rien vu, te dis-je.
    Écœurées devant tant d’horreurs, nous avons laissé retomber tristement le pan et nous nous sommes éloignées. Quelques minutes après, nous n’y pensons déjà plus et fatiguées d’avoir marché, nous nous asseyons lourdement au bord d’une allée et inconscientes, ne sachant trop quoi faire, nous nous apprenons des chansons. Où que nos pas nous portent, nous croisons des « employées » de pompes funèbres qui enlèvent les mortes du chemin en leur attachant une ficelle autour des poignets ou des chevilles et les tirent en traînant leur corps sur les cailloux du chemin. Quelquefois, ils rebondissent avec un bruit mou, sur un obstacle. Les crématoires ne désemplissent pas et ne peuvent brûler tous ces morts. Alors des grandes fosses ont été creusées et c’est là-dedans qu’on balance les cadavres et ils sont recouverts de chaux… comme ça, pas de trace, la chaux ronge tout.
    Lorsque nous entrons au block, Germaine ne s’y trouve plus.
    Cette fois, c’est définitif : plus d’eau, même pas un filet. Alors mon tour est arrivé ; j’ai tellement soif que suis allée boire l’eau du bassin que nous avions vu en arrivant. Après tout, tant pis ! Advienne que pourra ! Je n’ai plus rien à perdre. Le pire qui puisse m’arriver c’est de perdre la vie et comme on ne meurt qu’une fois !… Autant en prendre son parti, bien que ce soit affreux d’y penser. J’ai vingt et un ans !…
    Et les jours passent, se traînent ; nous luttons encore un peu. Oh ! si peu ! car nos forces nous trahissent de plus en plus. C’est une hécatombe. Le camp est devenu un immense charnier. Crématoire et fosses communes ne suffisent plus.

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