La Bataille
avez-vous dit ?
— La vérité.
— Fou !
— C’est vous le fou, Louis-François. Obéissez aux ordres.
Prendre les eaux à Baden, c’était une idée d’Henri, qui la
tenait du baron Peyrusse, payeur du Trésor général de la Couronne ;
celui-ci avait raconté son bref séjour dans ce vallon, à quatre mille de
Vienne ; on y louait une maison pour une liasse de florins. Les
eaux ? On barbotait avec vingt autres personnes dans des cuves de sapin
remplies d’eau minérale, et, surtout, des jeunes filles s’y baignaient avec les
hommes, dans des chemises mouillées qui faisaient rêver le moins rêveur. Si
Lejeune tombait amoureux d’une jeune Autrichienne, pour remplacer Anna, il se
rétablirait vite…
Le front haut, des cheveux blancs plantés en arrière et
bouclés, le docteur Corvisart s’installa au bureau de l’Empereur :
— C’est un retour de votre vieil eczéma, Sire.
— Dans le cou ?
— Ce n’était pas la peine de me faire venir pour cela
de Paris.
— Les médecins allemands sont des nullités !
— Je vais noter la composition de notre pommade
habituelle, pour les pharmaciens de Sa Majesté…
— Notez, Corvisart, notez !
L’Empereur se faisait habiller par ses valets tandis que le
docteur Corvisart notait comment composer la préparation qui réussissait à
effacer l’eczéma ordinaire de Napoléon, quinze grammes de cévadille en poudre,
quatre-vingt-dix grammes d’huile d’olive, quatre-vingt-dix grammes d’alcool
pur. Cela fonctionnait à la perfection depuis le Consulat.
— Monsieur Constant ?
Le premier valet de chambre apparut à la porte du salon des
Laques, se courba et annonça :
— Son Excellence le prince de Neuchâtel…
— Qu’il entre s’il a de bonnes nouvelles. S’il en a de
mauvaises qu’il aille se faire voir ! Ça me flanque de l’eczéma, les
mauvaises nouvelles, n’est-ce pas, Corvisart ?
— Peut-être, Sire.
— Les nouvelles sont bonnes, dit Berthier en arrivant
dans le salon. Votre Majesté sera contente.
— Allez, dites, contentez donc Ma Majesté !
L’Empereur s’assit pour tendre ses bas blancs.
Son chausseur, à genoux, lui enfila des bottes.
Berthier résuma la situation avec les informations qui lui
étaient parvenues le matin même :
— Les divisions de Marmont et de MacDonald ont opéré
leur jonction près du col de Semmering. L’armée d’Italie marche en ce moment
sur la route de Vienne.
— L’archiduc Jean ?
— Il n’a pu contenir cette avancée et se replie vers la
Hongrie avec des troupes diminuées.
— L’archiduc Charles ?
— Il ne bouge pas.
— Comme il est bête !
— Oui Sire, cependant notre échec relatif semble
revigorer nos ennemis en Europe…
— Vous voyez, Corvisart, dit l’Empereur à son médecin,
ce jean-foutre veut me rendre malade !
— Non, Sire, il cherche à nourrir vos réflexions.
— Ensuite ? demanda l’Empereur à son major
général.
— Des Russes manifestent contre nous en Moravie, mais
le tsar Alexandre vous assure de son amitié.
— Bien sûr ! Il n’a aucune envie de voir les
Autrichiens rentrer en Pologne ! Il me noie sous des bonnes paroles et il
ne m’envoie pas un cosaque ! À Paris ?
— Des rumeurs de défaite ont circulé, même à la cour,
et votre sœur Caroline a eu des palpitations. La Bourse est en baisse.
— Butors de banquiers ! Et Fouché ?
— Monsieur le duc d’Otrante a repris la situation en
main, plus personne ne bronche.
— Ce renard ! Quel excellent baromètre !
Qu’on étende ses pouvoirs. S’il ne trahit pas c’est qu’il connaît ses
intérêts !
— À l’inverse de ce que nous redoutions, continuait
Berthier, les Anglais ne menacent plus d’envahir la Hollande…
— Le pape ?
— Il vous a excommunié, Sire.
— Ah oui ! J’avais oublié. Qui commande nos
gendarmes à Rome ?
— Le général Radet.
— Vous êtes sûr de cet officier ?
— C’est lui qui a réorganisé notre gendarmerie, Sire.
Il a été efficace à Naples et en Toscane.
— Où est ce cochon de pape ?
— Au Quirinal, Sire.
— Que Radet l’enlève et qu’on l’arrête !
— Qu’on l’arrête ?
— Et loin de Rome, à Florence par exemple. Ses insolences
m’agacent et mon eczéma va me démanger, pas vrai, Corvisart ? Ne faites
pas cette tête-là, Berthier ! Ce n’est pas de la religion, c’est de la
politique. (À son chausseur,
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