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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Il ne songeait
même pas à attaquer. Son armée avait été saignée.
    Tout seul, à pied, lentement et sans se retourner, le
maréchal Masséna franchit en dernier le petit pont. Déjà les marins et les
sapeurs s’apprêtaient à le démonter. Des charrettes sans ridelles, étroites et
longues, attendaient les pontons qu’on emmènerait de l’autre côté de la Lobau
pour restaurer le pont flottant : il y manquait quinze bateaux. À six
heures du matin la bataille d’Essling venait de s’achever. Il y avait plus de
quarante mille morts dans les champs.

 
CHAPITRE VII
Après l’hécatombe
    Le colonel Lejeune passa deux journées éprouvantes sur l’île
Lobau. Il s’impatientait de la réfection du pont, il s’attendait à un
bombardement depuis que les Autrichiens de Hiller avaient pris position dans
les villages abandonnés ; ils entreprenaient de fortifier la rive et
allaient sans doute y apporter des canons. Il buvait de l’eau de pluie, goûtait
au bouillon de cheval (que Masséna trouvait délicieux) mais ne pensait qu’à Mademoiselle
Krauss dont il ignorait la fuite. Dès que le grand pont fut reconstruit le
colonel obtint la permission de s’échapper à Vienne. Il acheta trop cher un
cheval de hussard et se précipita dans la Jordangasse pour n’y trouver que
déception et amertume. Cela commença par une colère, une crise de folie
furieuse, malgré les phrases qu’Henri avait préparées pour contenir la rage et
la peine prévisibles de son ami. Lejeune pénétra dans la chambre de l’infidèle,
de la trompeuse, de la mijaurée, de la diablesse, parce qu’il l’accablait de
tous les défauts, il tira des penderies ses vêtements, les déchira, les
piétina, criait à la traîtrise, ne supportait pas l’idée qu’elle l’avait berné
et tourné en ridicule. Quand il eut dévasté trois coffres et quelques armoires,
il fit une flambée de ses croquis, dont Henri ne put sauver un seul, puis il se
coucha tout habillé, sans souffle, fixant des yeux le plafond de bois peint. Il
demeura ainsi plusieurs heures. Henri, inquiet, profita de la visite
quotidienne du docteur Carino pour le prier de soigner le colonel. Lejeune
envoya promener le médecin :
    — Ce que j’ai, Monsieur, ne se guérit pas avec vos
potions !
    Henri, lui, continuait à avaler ses médicaments, et au
contact du désarroi de Lejeune il reprenait des forces ; un mal plus
prenant, chez un autre, réussit parfois à vous faire oublier le vôtre ; et
le physique se répare souvent mieux que l’esprit. Périgord lui apporta son
aide, puisqu’il était revenu prendre ses quartiers dans la maison rose, avec son
gros valet et sa giberne en vermeil qui contenait un nécessaire de toilette, du
gratte-langue aux fards. Périgord cherchait avec Henri les moyens de rendre à
leur ami sa belle humeur, ils essayaient de le traîner à l’Opéra, dénichaient
chez un libraire des éditions rares sur les peintres vénitiens. Périgord avait
même soudoyé l’un des cuisiniers de Schönbrunn qui venait à la nuit leur
mijoter des ragoûts irrésistibles auxquels Lejeune résistait. Il n’avait plus
d’appétit. Il ne voulait plus de musique, pas de spectacles, pas de livres. Il
refusait de sortir au cabaret, de prendre l’air dans les jardins du Prater, de
visiter la ménagerie, de manger une glace au café du Bastion. Un matin,
Périgord et Henri entrèrent dans sa chambre avec des mines résolues :
    — Mon cher, dit Périgord, nous vous emmenons à Baden.
    — Pourquoi ?
    — Pour vous rafraîchir la tête, pour vous offrir de
nouvelles idées et un brin de gaieté.
    — Edmond, je m’en moque ! Mais qu’est-ce que ce
parfum dont vous vous aspergez ?
    — Vous n’aimez pas ? Ce parfum, figurez-vous,
plaît aux dames. Il a la vertu de les attirer comme une magie. Vous devriez en
utiliser.
    — Laissez-moi tranquille, tous les deux !
    — Ah non ! se fâcha Henri. Voilà trois jours que
tu joues les momies et que tu nous inquiètes !
    — Je n’inquiète personne et je n’existe plus.
    — Louis-François, cela suffit ! dit Périgord.
Demain nous partons à Baden.
    — Bon voyage ! ronchonna Lejeune.
    — Avec vous.
    — Non. D’ailleurs, demain nous devons participer à la
parade du samedi dans la cour de Schönbrunn avec l’état-major.
    — J’ai parlé de votre cas au maréchal Berthier, dit
Périgord, et il m’a donné mission de vous emmener à Baden pour votre santé.
    — Que lui

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