Mylène
Prologue
Trop tard. Il n’y a plus un seul coffret au premier étage de la Fnac Saint-Lazare. En ce lundi 25 août 2008, le magasin a exceptionnellement ouvert ses portes dès neuf heures du matin. Mais trop tard. La vingtaine de collectors de l’album Point de suture mise en vente s’est arrachée en moins de trente secondes, me dit-on. Il est neuf heures dix. Je m’engouffre dans le métro et file en catastrophe vers la Fnac des Ternes. Elle n’ouvre qu’à dix heures. J’attends une demi-heure devant les grilles de l’entrée. Là, j’ai toutes mes chances. Je plaisante avec une fille qui a réussi à se procurer le coffret tant convoité, mais qui veut en acheter un autre pour un ami – louable intention. « Il contient une aiguille et une pince à suturer », me dit-elle, enthousiaste.
À l’heure dite, dès que les grilles commencent à remonter, une trentaine de personnes se ruent vers l’intérieur. Bien décidé à mettre la main sur le précieux trésor, je prends l’escalator et m’élance jusqu’au deuxième étage. Las, point de collectors sur les présentoirs. « Ils sont au rez-de-chaussée », nous indique un vendeur, constatant la panique qui s’empare des clients. Je redescends aussitôt sans traîner, tourne et vire à la recherche des boîtiers métalliques couleur argent. En vain. J’aperçois un présentoir vide. Les coffrets se trouvaient-ils ici ? En quelle quantité ont-ils été livrés au magasin ? Comment ont-ils pu se volatiliser aussi vite ? Autant de mystères que je ne résoudrai pas. Je repars bredouille. Furieux et frustré.
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Pourquoi le nier, j’aime Mylène. Depuis 1989, au moins. Depuis qu’elle a posé cette question qui m’obsédait déjà à l’époque : « À quoi je sers ? » Je débutais alors dans l’enseignement et partageais bien des doutes existentiels avec les élèves de terminale qui découvraient la philosophie par mon intermédiaire. À bien y réfléchir, pourtant, mon mal vient de plus loin. Trois ans auparavant, j’avais été intrigué par le clip de Plus grandir , par cette femme brune et frêle qui promenait sa poupée en poussette dans les allées d’un cimetière pour la conduire sur sa propre tombe. Déjà, je m’étais dit : voilà une artiste qui détonne. Par la suite, initié par une amie qui ne jurait que par elle, j’ai succombé à mon tour. J’ai attendu ses albums comme autant de pièces formant un puzzle inachevé. Je me suis suspendu à son filet de voix comme à la parole d’une sœur. J’ai puisé dans certains textes des consolations provisoires à un mal de vivre qui, aujourd’hui encore, m’étreint parfois comme un baiser au goût morbide. Amélie Nothomb a raison de dire que Mylène aide « bien des personnes dans leur vie ». En pointant ses propres fêlures, ce sont les nôtres qu’elle nous renvoie, comme dans un miroir. En cela, elle remplit le rôle le plus précieux qui incombe aux artistes : non pas simplement nous divertir en nous faisant sortir de nous-mêmes, mais nous conduire à l’intérieur de nous-mêmes pour nous aider à mieux nous comprendre et nous accepter.
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Être fan suppose, toutefois, une soumission qui m’est impossible. Mylène n’est pas ma colonne vertébrale, je tiens debout sans elle. Amateur, c’est autre chose. Ça n’exclut pas de garder un certain sens critique. Malgré l’exigence de qualité qui traverse sa carrière depuis ses débuts, tout ce que publie la chanteuse n’emporte pas mon adhésion béate. Il m’arrive même d’être exaspéré par une forme de complaisance dans l’exposé de la souffrance. Mais ces petits agacements n’ont jamais suffi à me détourner d’elle. Si elle exerce un tel pouvoir de séduction sur moi comme sur tant d’autres c’est, bien au-delà de l’indéniable sex-appeal qui la rend si désirable, parce qu’elle offre à qui veut l’entendre un univers rare autant que complexe.
Et c’est là qu’il faut être vigilant, éviter le piège des clichés. Car depuis plus de vingt ans qu’elle fait carrière, Mylène est l’objet d’une rhétorique stérile qui l’a enterrée vivante dans une posture d’icône. Pour résumer : « C’est une star inaccessible, secrète, mystérieuse qui n’aime pas se livrer à la presse ; une diva sulfureuse adulée par des fans hystériques ; ses clips forment un cocktail de sang, de religion et de mort ; ses concerts ressemblent à des messes ; elle
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