La chambre ardente
noires. Elle avait pour amant un maître en filouterie, Lesage, qui se présentait en envoyé du diable. Il était associé à l'abbé Mariette et ensemble ils organisaient, comme l'abbé Guibourg, des cérémonies sacrilèges.
Et à ces « messes à l'envers », à ces consécrations d'hosties par le sang de jeunes enfants égorgés, des dames de haute condition assistaient.
Et certaines, nues et enduites, la tête reposant sur des cousins, servaient d'autel, et l'on plaçait sur leurs seins un crucifix, un calice. Et on demandait au diable de satisfaire les désirs de ces dames.
La Voisin rompit avec Lesage, le dénonça, ainsi que l'abbé Mariette. Lesage fut condamné aux galères. Libéré, il revint néanmoins à Paris et renoua avec la Voisin.
Mais celle-ci s'était entre-temps amourachée d'un certain Blessis, alchimiste, faux-monnayeur, prétendant avoir réussi à obtenir, à partir de vil métal, de l'argent, et capable d'élaborer toutes sortes de poisons.
Blessis était un homme précieux, si recherché que le marquis des Termes, grand seigneur endetté, le séquestra en son château pour lui faire avouer ses secrets.
Ce marquis des Termes était le neveu de M. de Montespan. Et celui-ci, l'époux de la maîtresse officielle de Sa Majesté Louis XIV, Athénaïs de Montespan.
Avec ce nom de Montespan, Illustrissimes Seigneuries, nous voici au bord du grand secret.
Mais Nicolas Gabriel de La Reynie ne le livre pas.
Il nous dit seulement que ses espions apprirent que la Voisin s'était rendue dans les premiers jours du mois de mars 1679 au château de Saint-Germain où se trouvait la Cour. Elle avait l'intention de remettre un placet au Roi en se mêlant à la foule des courtisans.
Quelques lignes plus loin, comme s'il n'y avait aucune relation entre ces deux éléments, La Reynie rappelle qu'on pouvait empoisonner en répandant de la poudre d'arsenic sur les serviettes, les chemises ou dans les gants.
Il n'osa pas écrire qu'on pouvait aussi empoisonner un placet.
Or si ce n'avait pas été dans ce but-là, pourquoi la Voisin eût-elle voulu remettre un placet au Roi ?
Et pour le compte de qui agissait-elle ?
On l'arrêta donc le dimanche 12 mars 1679 au matin au sortir de la grand'messe de l'église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle.
Et elle commença à parler.
Je devine l'effroi du lieutenant général de police lorsqu'il apprit que le président de la première chambre des Requêtes avait été assassiné par son épouse qui avait obtenu des poisons en se rendant chez la Voisin.
L'empoisonneuse citait aussi le nom de Mme de Dreux, amoureuse à la passion du duc de Richelieu, achetant des poudres pour empoisonner son mari – maître des requêtes au Parlement – et l'épouse du duc, son amant.
Celle-là avait déjà empoisonné deux de ses soupirants précédents !
Je me souviens qu'en ce temps-là – en 1679 – j'avais été frappé par l'inquiétude qui, à chaque décès, saisissait les gens les plus titrés.
J'avais entendu l'ambassadeur du royaume d'Angleterre me confier :
– Les plus menus accidents sont maintenant imputés au poison, et quantité de personnes vivent dans les transes par suite de frayeurs de ce genre.
Il fallait allumer au plus vite des bûchers.
La Bosse avait dit à La Reynie :
– On ne fera jamais mieux que d'exterminer tous ces gens qui regardent dans la main, parce que c'est la perte de toutes les femmes, tant de qualité qu'autres, parce qu'on connaît bientôt quelle est leur faiblesse, et c'est par là qu'on a accoutumé de les prendre.
Et La Reynie écrivait en conclusion que les « devineresses incitent leurs visiteuses à changer l'avenir qu'elles leur lisent et à utiliser le poison et la noire force du diable pour y parvenir ».
On fit brûler vives, au printemps et à l'été 1679, l'empoisonneuse et devineresse la Bosse et la faiseuse d'anges la Lepère.
D'autres périrent avec elles ; certaines eurent le poing coupé.
Marie Bosse mourut dans les flammes sans une plainte, ayant seulement dit dans les derniers instants au greffier qui l'accompagnait : « Faites prier Dieu pour moi. »
À la fin de l'été 1679, comme le filou Lesage, son ancien amant, la Voisin était encore en vie.
J'ai senti que Nicolas Gabriel de La Reynie attendait non sans inquiétude leurs aveux.
VII.
La face noire
du royaume de France
La Voisin et Lesage ont commencé à parler et je me souviens de l'impression que j'ai éprouvée
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