La chambre ardente
mettre fin à son calvaire. Elle avait reconnu devant les juges qu'elle s'était déclarée prête à commercer avec le diable, dans une messe dite par l'abbé Mariette. Et Lesage lui en avait proposé une. Elle s'était dénudée et on avait égorgé un enfant dont le sang avait été utilisé pour consacrer les hosties ; on avait aussi enterré dans le parc de son domicile deux coeurs de pigeons immolés en sacrifice. Puis elle avait usé de la poudre d'arsenic sur la chemise de sa bête brute de mari.
Et elle ne regrettait rien.
Elle avait subi la question extraordinaire, jambes brisées par les coins enfoncés dans les brodequins, et on avait tranché son poing en place de Grève avant de la brûler.
Mais, lisant les copies des documents, j'ai appris qu'un codicille à son jugement avait ordonné au bourreau de l'étrangler avant que les flammes ne la dévorent.
Nicolas Gabriel de La Reynie était disert sur ces cas-là. Mais il ne parlait pas du maréchal de Luxembourg dont Lesage assurait qu'il avait demandé à la Voisin de favoriser la mort de sa femme et le mariage de son fils avec la fille du ministre Louvois.
Et je découvrais que ce dernier s'était longuement entretenu à la Bastille avec Lesage, et celui-ci, après l'entrevue, s'était montré encore plus loquace, comme s'il avait conclu un marché avec Louvois, le ministre se servant des accusations de Lesage pour affaiblir tous ceux qui lui étaient hostiles, et d'abord le clan Colbert qui soutenait Mme de Montespan.
Ainsi, derrière cette affaire des poisons, j'ai commencé d'apercevoir les rivalités de Cour, la lutte pour acquérir de l'influence et peser sur le Roi, plus importantes peut-être que le désir chez telle ou telle femme de devenir maîtresse du souverain.
D'ailleurs, dans les copies de documents, il en est une qui montre que Louis XIV ne voulait point que fussent connues les accusations portées contre ses proches.
Louvois avait été contraint d'écrire au procureur général de la Chambre ardente :
« Il y a seulement une chose sur laquelle Sa Majesté vous recommande d'avoir beaucoup d'attention, qui est celle de la demoiselle des OEillets et de la femme de chambre Catau, Sa Majesté croyant être assurée qu'il est impossible que Lesage ait dit vrai. Ce fait sera promptement éclairci par les interrogatoires que Messieurs les commissaires pourront faire à la Voisin. »
Il ne fallait pas impliquer Mme la marquise de Montespan, donc il ne fallait plus parler des jeunes femmes de sa suite.
Et la Voisin comme Lesage le comprirent.
Que leur avait-on promis ?
J'ai su, en lisant les copies de documents, que la Voisin ne fut pas soumise réellement à la question. Elle n'en connut que le simulacre, et le bourreau avait reçu mission de se contenter des gestes, levant son maillet mais ne frappant pas les coins. Peut-être avait-on laissé entendre à la devineresse empoisonneuse qu'elle ne serait pas brûlée vive ? Et à Lesage on promit la vie sauve ; ce qui fut tenu. Il échappa à la potence mais fut jeté avec l'un de ses complices, l'abbé Guibourg, dans un cul-de-basse-fosse de la citadelle de Besançon.
Mais tant la Voisin que Lesage avaient eu toute licence de parler des autres visiteurs de leurs bouges, des demandes de la comtesse de Soissons, Olympe Mancini, nièce du cardinal Mazarin, de celles de sa soeur Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon, de la comtesse du Roure et de la vicomtesse de Polignac, ou bien encore de Jean Racine, historiographe du Roi.
Tous ceux-là et quelques autres furent accusés d'avoir participé à des messes noires organisées par l'abbé Mariette ou l'abbé Guibourg, ou d'avoir acheté des poudres pour éliminer amant, épouse, maîtresse ou mari.
Parmi ces femmes, il y avait celles qui voulaient obtenir l'amour du Roi.
Olympe Mancini, comtesse de Soissons, la noiraude que le jeune Roi avait tenue dans ses bras, ne pouvait accepter que le souverain se détournât d'elle pour Henriette, d'abord, épouse du frère cadet de Louis XIV, puis pour une suivante de cette dernière, Mlle de La Vallière.
Au début, celle-ci ne devait être qu'un paravent permettant au Roi et à Henriette de poursuivre leur liaison, puis le Roi s'était pris au jeu, avait été séduit par la jeune fille aux cheveux blonds cendrés, par l'amour sincère et absolu qu'elle lui portait.
Olympe Mancini aurait donc alors sollicité la Voisin, accompagnée de la marquise d'Alluye, une ancienne
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