La chambre ardente
en cette fin d'année 1679.
J'ai eu le sentiment qu'à Paris et à la Cour tous ceux qui connaissaient la nature des propos tenus par la devineresse empoisonneuse et son complice – devenu par ailleurs, depuis qu'il était enfermé à la Bastille, son accusateur – étaient emportés par un ouragan.
Ce vent chargé de poison prenait de plus en plus de force. Il suffisait qu'un homme perdît conscience quelques instants pour que ses proches crient qu'il avait été empoisonné et convoquent des médecins afin qu'on lui ouvrît le corps de sorte à retrouver traces de drogues.
Et l'homme que les scalpels commençaient à taillader bondissait, encore vivant.
On m'assurait qu'entre membres d'une même famille, tous espérant l'héritage, le soupçon planait, sécrétant des haines. On ne mangeait plus que ce que l'on avait soi-même préparé. Le mari se défiait de l'épouse, et celle-ci du mari. Le frère soupçonnait la soeur, laquelle était persuadée que le frère cherchait à l'empoisonner.
On racontait une nouvelle fois les crimes de la marquise de Brinvilliers et ceux de Mme de Dreux.
Au mois de novembre 1679, on représenta – et ce fut un triomphe – une comédie-féerie de Thomas Corneille et Donneau de Vozé, et l'on se précipita à l'hôtel de Bourgogne pour rire des devineresses et repousser la peur.
Mais elle ne se dissipa pas.
On attribuait à la Voisin des pouvoirs immenses. On disait qu'elle détenait des onguents et de l'eau miraculeuse pour le teint. On publiait que « la duchesse de Foix avait demandé le moyen d'avoir des seins. Que Mme de Vassé réclamait celui d'avoir des hanches, et de devenir grande ; beaucoup voulaient le secret de se faire aimer, et quelques-unes, la place de Mme de Montespan ».
Ce nom de la plus influente des femmes de la Cour, de cette maîtresse légitime, mère de bâtards légitimés par le Roi, ce nom que Nicolas Gabriel de La Reynie avait sur les lèvres, il ne le prononçait pas.
Il hochait la tête quand je lui disais qu'on le murmurait et qu'il revenait de diverses façons.
La Voisin avait été longuement interrogée sans qu'on eût jamais recours à la torture, car dans ce Royaume on ne torturait qu'après condamnation et la question était dite préalable , en ce qu'elle intervenait avant le bûcher ou la potence.
La Voisin avait donc déclaré sans contrainte que la duchesse de Vivonne et la duchesse de La Motte s'étaient rendues chez elle. Elles lui avaient demandé « de quoi se défaire de leurs maris, et elles avaient été, sur cela, en commerce avec Lesage ».
Or la duchesse de Vivonne était l'épouse de Louis-Victor de Rochechouart, maréchal de France et frère de la marquise de Montespan.
Une nouvelle fois, le nom de la maîtresse du Roi apparaissait. Et j'ai découvert dans les copies des documents remises par La Reynie que Lesage avait affirmé que la Voisin s'était rendue plusieurs fois à la Cour, au château de Saint-Germain, afin d'y rencontrer deux jeunes femmes, Mlle des OEillets et Mlle Catau, toutes deux suivantes de la marquise de Montespan.
Dans quel but, ces rencontres ?
Comment ne pas penser que les deux suivantes agissaient pour le compte de la marquise ? Et pour qui celle-ci avait-elle besoin de poudres, de drogues ?
N'était-ce pas pour attiser ou ranimer le désir du Roi, retenir le monarque, ou bien se venger de lui ?
Je n'ai pas osé poser ces questions à Nicolas Gabriel de La Reynie lorsqu'il me rendait visite, en cette année 1679. Il ne pouvait les ignorer puisque, à demi-mot, dans les gazettes, les salons du château de Saint-Germain, à la Cour, donc, elles composaient la rumeur du moment. Mais je savais que si je les avais formulées devant lui, le lieutenant général de police n'eût pas desserré les lèvres. Dès que je m'approchais dans mes propos de la personne du Roi, il me faisait comprendre que je n'obtiendrais de lui aucune réponse.
Mais il pouvait me dire de sa voix étouffée :
– Ici, dans notre royaume, la vie de l'homme est publiquement en commerce. C'est presque l'unique commerce dont on se sert dans tous les embarras des familles.
Il me citait le sort de cette épouse de gentilhomme, richement dotée, mais dont le mari dilapidait les biens avec des filles ; et ce n'était encore rien, il la battait, il était ivre, c'était pire qu'un cochon. Elle vivait humiliée, frappée, sans souliers, et elle s'était rendue chez la Voisin pour obtenir le moyen de
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