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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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cessa de parler comme si son ressort s'était déroulé jusqu'au bout.
    Je trouvais saisissant le contraste entre mon antre humide et sombre et l'allure altière de cette femme. Une paire de chaussettes et des bretelles démantibulées me narguaient du coin de la pièce, vautrées sur le parquet poussiéreux.
    Je pris un air magnanime
    - Voilà plusieurs semaines que je n'avais pas mis les pieds dans cet appartement; il s'est laissé aller. Et ça ne risque pas de s'améliorer.
    Une grande pièce, une petite chambre, une salle d'eau, une cuisine minuscule, ce n'était pas vraiment ce qu'on pouvait rêver de mieux pour ce qui nous attendait. Mais ça lui importait peu. Sa question me surprit et m'embarrassa.
    - Vous ne trouvez pas que la peur accroît le désir au point de le rendre insoutenable? J'essayai de me conformer à sa forme d'esprit, à son détachement, à sa désinvolture - Je pense que je serai plus à même de vous répondre dans quelques semaines, mais je ne suis pas certain que ce soit la première préoccupation de celui qui sent le froid d'une baÔonnette peser sur sa gorge.
    - Vous savez bien que je ne parle pas de peur physique, mais plutôt de cette peur diffuse, intérieure, intense, dont on ne sait comment se débarrasser, qui s'installe puis repart sans prévenir.
    - Ce n'est pas une sorte de peur qu'on
    évoque dans mon village, ça serait plutôt typique des gens de la ville.
    J'aurais menti en lui disant que le désir que j'éprouvais venait d'une sorte de peur métaphysique ou même de l'appréhension du départ pour la guerre. L'homme de la terre sait qu'il n'est que le maillon d'un ensemble régi par des lois simples et que, pour le reste, c'est se martyriser que de vouloir en savoir plus. Les gens des villes sont le centre d'un monde qu'ils ont fait eux-mêmes. Ils en crèvent, rongés de l'intérieur par le doute.
    Le temps passait très vite, Paris était de plus en plus silencieux. Je devais prendre le premier train du matin, à quatre heures quarante-cinq.
    Après, je passerais pour un déserteur. Je m'arrachai aux draps humides, titubant pour reconstituer pièce par pièce le puzzle de mon uniforme.
    L'éclairage public lançait un faisceau de lumière qui traversait la chambre pour venir s'échouer sur elle, blanche. J'essayai de réveiller Clémence pour lui murmurer quelque chose, mais elle dormait profondément.
    Je passai dans la pièce d'à côté, griffonnai quelques mots sur un bout de papier suffisamment grand pour qu'elle le voie en se réveillant.
    Clémence je pars, je vous laisse l'appartement; vous pouvez vous y reposer le temps qu'il vous plaira. Soyez gentille de déposer les clés dans la boite aux lettres en partant et surtout de me laisser votre adresse à
    Paris pour que je la trouve à mon retour. Au moment de partir, je voudrais juste vous dire l'importance que vous avez prise dans ma vie. Prenez garde à vous.
    Je l'embrassai une dernière fois à la base du cou, et m'en allai à la guerre.
    Si mon paquetage n'avait pas été aussi lourd, j'aurais sauté de joie dans la rue, d'un pied sur l'autre, comme un gamin qui vient de trouver une grosse pièce dans le caniveau et qui croit qu'elle va lui durer la vie entière.
    Il fait un temps de rentrée des classes, beau, chaud; l'air est léger. Nous avons pris nos quartiers près d'un village de la Meuse, non loin du fleuve.
    Les soldats affluent au camp. Des carrioles tirées par des chevaux de trait réquisitionnés. Des mômes bleu et rouge, dix-huit ans, les yeux gonflés du sommeil de la nuit en train. Ils ont l'air si appliqués avec une telle envie de bien faire. Un va-et-vient dans tous les sens. On attelle, on dételle, on charge, on décharge des tonnes de marchandises, des vivres, des couvertures, des tentes, des poutrelles, des planches. Le 6e régiment du génie s'active. On se croirait en pleine manoeuvre. Tous ces types ont l'air résolus.
    J'ai une terrible envie de dormir. Et me prends à rêver, porté par la brume de chaleur qui vient troubler mon regard sur les branches des arbres dont les feuilles bougent dans la brise
    matinale. Dans la fragile quiétude de cette journée d'avant-guerre, des idées éparses se mêlent sans ordre. Clémence, ce nouvel amour, si bref mais si intense qu'il m'inquiète autant qu'il me ravit. Mon père, emporté par le cancer il y a deux ans à peine. Un melon qui poussait sans souffrance sur son foie l'a tué à quarante-sept ans, alors qu'il était tout à la

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