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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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Elle me suivit presque titubante, accablée. Nous nous install‚mes à la terrasse d'un grand café devant la gare, et là, tout doucement, elle revint à la vie. Je revoyais le visage du soldat avec sa moustache qui tombait, sa vareuse qui flottait au large de ses épaules concaves. Assis à côté d'elle, tous deux face à l'avenue agi
    fée par une circulation fiévreuse, je n'osais la dévisager, mais je ressentais l'inquiétude d'une histoire qui commençait.
    Le regard fixe, elle semblait ne pas voir la foule qui passait et repassait. De temps en temps, elle prenait son verre, trempait ses lèvres et le reposait très vite. Nous ne nous dîmes pas grandchose. J'appris seulement qu'elle était musicienne, qu'elle s'appelait Clémence, que le soldat était compositeur, un ami de Debussy, de Fauré et de toute une ribambelle de musiciens célèbres dont je n'avais jamais soupçonné
    l'existence. qu'elle vivait à Montmartre au milieu des artistes, qu'elle connaissait bien le peintre norvégien Edvard Munch, que ses futurs beaux-parents étaient aussi stupides que généreux et qu'elle détestait la campagne.
    Du coup, je trouvai moins glorieux de lui raconter que j'étais un petit ingénieur spécialisé dans les ouvrages d'art pour les chemins de fer, au sommet d'une ascension qui avait débuté avec un grand-père maréchal-ferrant et un père régisseur d'un ch‚teau appartenant à la Compagnie des eaux, que j'avais toujours vécu à la campagne ou dans des petites villes de province, que j'avais commencé à travailler à Paris au mois de mai, et que la guerre ne m'avait pas laissé le temps d'en connaître grand-chose.
    Ses yeux s'animèrent un peu lorsqu'elle me demanda si quelqu'un allait rester là à attendre

    mon retour de la guerre. Je lui répondis que je n'étais lié à personne.
    Elle s'en étonna. Me soupçonna d'être un séducteur; j'en avais le physique, disait-elle.
    Comment lui expliquer que je ne connaissais de l'amour que les sentiments diffus que j'avais éprouvés à l'école pour les filles des grandes classes?
    Et que, des femmes, j'en avais eu si peu. La première s'appelait Ernestine Maillol. qu'importe son nom, d'ailleurs. C'était la fille du notaire du canton, caricature du bourgeois irascible. C'est avec elle que je fis connaissance des femmes dans une grange, sur les terres du ch‚teau que régissait mon père.
    J'avais connu d'autres femmes par la suite, avec lesquelles j'avais eu des relations épisodiques, parfois tendres mais jamais passionnées. J'avais bien le sentiment de leur plaire, lorsque j'attrapais un regard au vol, mais rien ne pressait: j'avais de nombreuses années devant moi pour les séduire et les aimer.
    Clémence se mit alors à parler de la guerre. Une monstruosité, disait-elle à voix haute. Elle voulait choquer, c'était évident, et je m'efforçais de multiplier les sourires apaisants en direction de ceux qui, aux tables voisines, s'apprêtaient à intervenir pour faire cesser ce scandale. Et comme il s'agissait d'une femme, j'imaginais aisément que c'était moi qu'ils allaient démolir. Je préférais laisser ce plaisir aux Allemands.
    Elle était au bord des larmes et s'en prenait à Dieu, maintenant, car c'est la foi qui pousse les hommes à faire des guerres. " S'il n'y avait pas cette foutue croyance dans la vie éternelle, disaitelle, les hommes n'iraient pas à la boucherie avec une telle conviction! "
    …levé chez les jésuites pendant deux ans sous la pression de ma mère qui était de la chapelle, au contraire de mon père qui avait surtout pour principe de ne pas contrarier sa femme, j'avais vite fait partie d'un petit groupe de défenseurs des valeurs paÔennes, et en particulier de la cueillette des cèpes en forêt à la saison des ch‚taignes. Pour profiter de la courte échelle qui permettait de faire le mur pendant les heures d'études, il fallait pouvoir donner le mot de passe. A la question: " qui est Dieu? " on devait répondre: " Dieu est un petit bonhomme sans queue. "
    C'était donc, pour moi, lui faire beaucoup d'honneur que de vouloir le rendre responsable de cette guerre. Les seuls responsables étaient les Allemands, et je n'avais pas de raison de penser autrement.
    Plus Clémence parlait fort, plus elle paraissait fragile. Elle priait pour les mains de son pianiste. Une phalange, il suffisait qu'il perde une phalange pour que sa vie soit ruinée. Pas un bras, une jambe, un oeil, rien qu'une petite phalange. Puis elle

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