La chance du diable
Croix de fer aux feuilles de chêne, le lieutenant-colonel Georg Freiherr von Bœselager, n’était pas certain d’être mentalement armé pour abattre quelqu’un de sang-froid, fut-ce Hitler. C’était toute autre chose, dans son esprit, que de viser un ennemi anonyme pendant la guerre.
Bœselager n’en prépara pas moins un groupe d’officiers, qui s’étaient portés volontaires, à abattre Hitler lors de la visite qu’il rendrait bientôt, espérait-on, au QG du groupe centre, à Smolensk. La visite eut finalement lieu le 13 mars. Le projet de l’abattre dans le mess du feld-maréchal von Kluge, commandant du groupe d’armées, fut abandonné de crainte de tuer Kluge et d’autres officiers supérieurs en même temps que Hitler. Compte tenu des hésitations de Kluge et de son ambivalence à l’égard de la conspiration, des conjurés plus cyniques eussent sans doute pensé qu’il valait la peine de courir le risque. En fait, ils estimaient que la perte de Kluge et d’autres chefs du groupe centre achèveraient d’affaiblir un front est déjà précaire. L’idée germa alors d’abattre Hitler lorsqu’il parcourrait la courte distance séparant sa voiture du QG. Après avoir infiltré le cordon de sécurité et choisi la position pour ouvrir le feu, cependant, le commando d’assassins renonça à son projet. Était- ce parce que Hitler regagna sa voiture par un autre chemin ? Ou jugèrent-ils excessif le danger de tuer en même temps Kluge et d’autres officiers du groupe ? Si la seconde explication est la plus probable, il est impossible de trancher.
Tresckow se rabattit alors sur son projet initial d’attentat. Lors du repas au cours duquel, si les plans initiaux avaient été mis en œuvre, Hitler aurait dû être abattu, Tresckow demanda à un membre de l’entourage du Führer, le lieutenant- colonel Heinz Brandt, qui voyageait dans l’avion de Hitler, de se charger d’un paquet destiné au colonel Helmuth Stieff, du commandement suprême de l’armée de terre. Cela, en soi, n’avait rien d’inhabituel. Quand l’occasion s’en présentait, il était fréquent qu’on se rendît ce genre de petits services. Tresckow prétexta un pari avec Stieff. Le colis ressemblait à deux bouteilles de cognac : il s’agissait en fait des deux parties de la bombe britannique « Clam » que Tresckow avait assemblées.
Schlabrendorff porta le colis à l’aérodrome et le remit à Brandt alors qu’il montait dans le Condor de Hitler, prêt à décoller. Quelques instants plus tôt, Schlabrendorff avait appuyé sur la capsule d’allumage pour activer le détonateur. L’engin devait souffler Hitler trente minutes plus tard en plein ciel, peu avant que l’avion arrivât à Minsk. Schlabrendorff regagna le QG le plus vite possible et informa l’opposition de Berlin, à l’Abwehr, que l’« amorçage » du coup d’État avait été déclenché. Mais aucune nouvelle n’arriva de l’explosion. Dans le groupe de Tresckow, la tension était tangible. Quelques heures plus tard, ils apprirent que Hitler s’était posé sans dommages à Rastenburg. Schlabrendorff fit savoir à Berlin que la tentative avait échoué. Pourquoi n’y avait-il pas eu d’explosion ? Cela tenait du mystère. Probablement le froid intense avait-il empêché la détonation. Pour les conspirateurs dont les nerfs étaient à vif, les ruminations sur les causes probables de l’échec passèrent vite au second plan : il était vital de récupérer au plus vite le colis accusateur. Tresckow appela Brandt et lui expliqua qu’il y avait eu méprise : il ne devait pas transmettre le paquet. Le lendemain matin, Schlabrendorff prit l’avion avec deux véritables bouteilles de cognac, récupéra la bombe, s’isola, ouvrit le paquet avec le plus grand soin à l’aide d’une lame de rasoir et, à son grand soulagement, parvint à la désamorcer. L’opposition fut à la fois soulagée et amèrement déçue d’avoir laissé passer une telle chance.
Aussitôt, cependant, se profila une nouvelle occasion. Le 21 mars 1943, à Berlin, Gersdorff avait la possibilité de se trouver à une cérémonie officielle à laquelle assisterait Hitler. Il se déclara prêt à sacrifier sa vie pour faire réussir l’attentat. Tresckow, pour sa part, assura à Gersdorff que le coup d’État qui devait suivre l’assassinat de Hitler déboucherait sur un accord avec les puissances occidentales : l’Allemagne
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