La chevauchée vers l'empire
Prologue
Le feu rugissait au centre du cercle. Tout autour, parmi les
ombres tremblantes, des formes sombres bondissaient et dansaient en brandissant
des sabres. Elles faisaient tourbillonner leurs robes et hurlaient par-dessus d’autres
voix émettant des ululements aigus. Des hommes assis tenaient sur leurs genoux
des instruments à cordes dont ils tiraient des airs rythmés par les battements
de leurs pieds.
Devant le feu étaient alignés des guerriers mongols à genoux,
la poitrine nue, les mains liées dans le dos. Tous montraient un visage
impavide à leurs ravisseurs triomphants. Kurkhask, leur officier, s’était
sauvagement défendu pendant la bataille. Une croûte de sang recouvrait sa
bouche et son œil droit, enflé, était à demi fermé. Il avait connu pire. Kurkhask
était fier de la manière dont ses compagnons refusaient de montrer leur peur. Il
regardait les hommes du désert à la peau sombre pousser leurs incantations vers
les étoiles en agitant des lames courbes tachées du sang de guerriers qui
avaient été ses amis. Quelle race étrange, ces hommes qui entouraient leur tête
de plusieurs couches de tissu et portaient des tuniques flottantes sur des
pantalons amples ! Barbus, pour la plupart, de sorte que la bouche
semblait n’être qu’une entaille rouge dans des poils noirs. Plus grands et plus
musclés que les Mongols, ils avaient une curieuse odeur épicée et beaucoup d’entre
eux mastiquaient des racines sombres, crachaient par terre à leurs pieds des
sortes de caillots bruns. Kurkhask cachait le dégoût qu’ils lui inspiraient
tandis que leurs cris et leurs mouvements devenaient frénétiques.
L’officier mongol secoua la tête avec lassitude. Il avait
été trop confiant, il le savait maintenant. Les vingt hommes que Temüge avait
envoyés avec lui étaient tous aguerris, mais ils ne formaient pas un groupe de
razzia. En tentant de protéger les chariots de présents et de pots-de-vin, ils
avaient réagi trop lentement. Kurkhask songea aux derniers mois écoulés et se
dit que le caractère pacifique de sa mission avait endormi sa vigilance. Ses hommes
et lui s’étaient retrouvés dans une contrée de hautes passes montagneuses. Ils
avaient traversé des vallées semées de champs épars, avaient échangé de
modestes cadeaux avec des paysans d’une extrême pauvreté. Le gibier était
toutefois abondant et ses hommes avaient rôti des cerfs gras sur leurs feux. Le
soir où les paysans avaient tendu le bras vers les hauteurs, en signe d’avertissement,
il n’avait pas compris. Il n’avait eu aucune querelle avec les tribus des
montagnes mais, à la nuit tombée, une bande de guerriers avait surgi de l’obscurité
et taillé en pièces les hommes endormis.
Kurkhask ferma brièvement les yeux. Seuls huit de ses
compagnons avaient survécu et il n’avait pas vu son fils aîné depuis le début
du combat. Le jeune garçon avait été envoyé en éclaireur et Kurkhask espérait
qu’il échapperait à la mort pour rapporter les événements au khan. Il n’avait
que cette pensée pour le réconforter dans son amertume et sa haine.
Les hommes de la montagne avaient pillé les chariots de
babioles, s’étaient emparés de l’argent et du jade. En les regardant à la
dérobée, Kurkhask vit que nombre d’entre eux portaient maintenant des deels
mongols maculés de sang.
Leurs incantations s’amplifièrent jusqu’à ce qu’ils aient l’écume
à la bouche. Kurkhask redressa la tête lorsque le chef de la tribu dégaina un
sabre et s’approcha des prisonniers en éructant. Kurkhask échangea des regards
avec ses compagnons.
— Avant demain, nous rejoindrons les esprits et nous
verrons les collines de chez nous, leur dit-il d’une voix forte. Le khan
apprendra notre sort. Il balaiera cette terre.
Le ton calme de Kurkhask décupla la fureur du Khwarezmien, qui
fit tournoyer son sabre au-dessus d’un Mongol. Le visage de Kurkhask demeura
impassible. Il avait découvert que lorsque la mort semblait inéluctable, lorsqu’il
sentait son souffle sur sa nuque, il était capable d’oublier sa peur et de l’accueillir
calmement. Il espérait que ses femmes verseraient des ruisseaux de larmes quand
elles apprendraient la nouvelle.
— Sois fort, mon frère, lança-t-il au Mongol menacé.
Avant que l’homme pût répondre, le sabre lui trancha la tête.
À la vue du sang, les Khwarezmiens ricanèrent et frappèrent le sol du pied. Leur
chef eut un rictus qui
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