La chevauchée vers l'empire
erreur qui leur coûterait cher. Ils
étaient cependant grands et forts et Süböteï ne se risquerait pas à les
attaquer de front. Il avait vu des chevaliers blessés par plusieurs flèches
continuer à se battre et tuer deux, voire trois, de ses hommes. C’étaient des
guerriers d’un grand courage, mais il pensait que cela ne leur suffirait pas. Les
hommes braves vont de l’avant quand ils sont assaillis et Süböteï avait élaboré
son plan en conséquence. N’importe quelle armée pouvait être mise en déroute si
l’on savait s’y prendre, il en était persuadé. Pas la sienne, naturellement, mais
celle de tous les ennemis.
Deux des éclaireurs le rejoignirent au galop pour lui
communiquer la dernière position des Russes. Süböteï les fit descendre de
cheval et leur demanda de dessiner sur le sol avec un bâton pour qu’il ne
puisse y avoir de malentendu.
— Combien d’éclaireurs ont-ils ?
L’homme qui traçait des traits répondit sans hésitation :
— Dix à l’arrière, largement dispersés. Vingt à l’avant
et sur les flancs.
Le général hocha la tête. Il en savait assez pour prendre
enfin une décision.
— Il faut les tuer, surtout ceux qui se trouvent
derrière la colonne. Abattez-les quand le soleil sera au plus haut et ne
laissez aucun d’eux s’échapper. J’attaquerai dès que tu me signaleras par
drapeau que les Russes n’ont plus d’éclaireurs. Répète les ordres.
L’homme les répéta mot pour mot, comme on le lui avait
appris. Süböteï ne tolérait aucune confusion sur le champ de bataille. Les
drapeaux permettaient de communiquer sur de longues distances mais l’aube, midi
et le coucher du soleil étaient les seuls repères de temps. Il leva les yeux et
vit à travers les branches des arbres que le soleil atteindrait bientôt son
zénith. Ce ne serait plus long et il sentit ce creux familier à l’estomac qui
précédait la bataille. Il avait dit à Djötchi qu’il combattrait les Russes pour
le former et c’était la vérité, mais pas toute la vérité. Süböteï lui avait
caché que l’équipage des chevaliers comprenait des forges roulantes.
Les forgerons étaient plus précieux que n’importe quel
artisan qu’ils pourraient capturer et le général avait été intrigué par ces
chariots de fer crachant de la fumée signalés par ses éclaireurs.
Süböteï sourit en sentant son excitation croître. Comme
Gengis, il ne prenait aucun plaisir à piller les villes. Il fallait le faire, bien
sûr, comme on verse de l’eau bouillante sur une fourmilière. Mais c’étaient les
batailles qu’il aimait, chacune d’elles prouvant sa maîtrise et l’augmentant. Il
ne connaissait pas de joie plus grande que se montrer plus intelligent que ses
ennemis, les confondre et les anéantir. Il avait entendu parler de l’étrange
quête de ces chevaliers partis pour une terre si lointaine que nul n’en connaissait
le nom. Cela ne changeait rien. Gengis ne permettait à aucune troupe en armes
de traverser ses terres, et toutes les terres lui appartenaient.
Süböteï effaça le dessin de la pointe de sa botte, se tourna
vers l’autre éclaireur.
— Rejoins Djötchi et découvre ce qui l’a retardé. Il se
tiendra à ma droite pendant l’attaque.
— À tes ordres, seigneur.
L’homme s’inclina avant de remonter sur son cheval et partit
à toute allure. Süböteï plissa les yeux en regardant le soleil à travers les
branches. Il passerait bientôt à l’attaque.
Dans le grondement des sabots de dix mille chevaux, Anatoly
Majaev regarda par-dessus son épaule la crête derrière laquelle le petit Ilya
avait disparu. Il pensait encore à son frère comme au « petit Ilya »,
qui l’avait pourtant dépassé en force et en foi. Anatoly secoua la tête avec
lassitude. Il avait promis à leur mère de veiller sur lui. Ilya les rejoindrait
vite, il en était sûr. Anatoly n’avait pas voulu prendre le risque de faire
halte maintenant que les Mongols avaient révélé leur présence. Il avait envoyé
des éclaireurs dans toutes les directions, mais eux aussi avaient disparu. Il
regarda de nouveau derrière lui, en espérant découvrir les bannières d’un
millier d’hommes.
Devant, la vallée se rétrécissait en une passe entre les
collines qui aurait pu appartenir au Jardin d’Éden. Les pentes étaient
couvertes d’une herbe si grasse qu’il aurait fallu plus d’une demi-journée pour
la faucher. Anatoly aimait cette terre
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