La chevauchée vers l'empire
avaient chassés du Koryo tels
des chiens fouettés. Djaghataï estimait que le roi leur devait un tribut, qu’il
ait demandé leur aide ou non.
Transpirant dans l’air lourd, Djaghataï se torturait avec le
souvenir de la brise qui soufflait de la mer dans le Sud. Le vent frais était
le seul bon côté de cette immensité bleue, selon lui. Jelme, lui, avait été
fasciné par les vaisseaux koryons, mais Djaghataï trouvait l’idée de vouloir
voyager sur l’eau consternante. Tout ce qu’on ne pouvait pas chevaucher ne l’intéressait
absolument pas. Le simple souvenir de la barque royale se balançant à l’ancre
lui levait le cœur.
Une cloche sonna dans la cour et son bruit se répercuta dans
les jardins où des abeilles bourdonnaient autour de ruches disséminées parmi
des acacias en fleur. Djaghataï se représenta les moines bouddhistes poussant
la lourde poutre qui avait frappé la grosse cloche et se redressa, à nouveau
conscient de l’endroit où il se trouvait. Le roi allait arriver et mettrait fin
à son tourment. Il pouvait encore supporter la démangeaison quelques instants.
La cloche sonna de nouveau et des serviteurs firent
coulisser les panneaux du fond, ouvrant la salle aux senteurs de pin des
collines environnantes. Malgré lui, Djaghataï eut un soupir de soulagement
quand la chaleur commença à baisser. L’assistance remua légèrement pour voir le
roi et Djaghataï en profita pour glisser deux doigts sous son armure et se
gratter vigoureusement. Il sentit le regard de Jelme se porter sur lui et
reprit son expression impassible lorsque le roi du Koryo fit enfin son entrée.
Décidément, aucun d’eux n’est grand, pensa Djaghataï en
regardant le monarque franchir d’un pas léger une entrée à l’encadrement
sculpté. Le Mongol présuma qu’il s’appelait Wang, comme toute la famille, mais
qui se souciait des noms que se donnaient ces petits hommes ? Il préféra
détailler deux servantes de la suite du roi. Avec leur délicate peau dorée, elles
étaient bien plus intéressantes que l’homme qu’elles servaient. Le jeune
guerrier les regarda s’affairer autour de leur maître, arranger les plis de sa
robe quand il s’assit.
Le roi ne semblait pas avoir conscience des Mongols qui l’observaient
tandis que ses servantes s’occupaient de lui. Ses yeux étaient presque aussi
sombres que ceux de Gengis mais n’avaient pas leur capacité à susciter la
terreur. Comparé au khan, le roi du Koryo était un agneau.
Lorsque les servantes eurent enfin terminé, le regard du roi
se porta sur l’arban de dix guerriers que Jelme avait emmené avec lui. Djaghataï
se demanda comment cet homme pouvait porter des vêtements aussi épais en été.
Quand le roi prit la parole, Djaghataï ne comprit pas un mot.
Comme Jelme, il dut attendre la traduction en jin, langue qu’il avait apprise
au prix de gros efforts. Même alors, il eut peine à saisir le sens des propos
du roi et l’écouta avec un agacement croissant. Il détestait les langues
étrangères. Une fois qu’un homme connaît le mot pour dire « cheval »,
pourquoi en utiliser un autre ? Djaghataï admettait que les habitants de
terres lointaines puissent ne pas connaître la bonne façon de parler, mais ils
se devaient alors de l’apprendre et de ne pas continuer à parler leur baragouin
comme si toutes les langues se valaient.
— Vous avez tenu vos promesses, dit le traducteur d’un
ton solennel, tirant Djaghataï de ses réflexions. Les forteresses des
Khara-Khitaï ont brûlé pendant de longs jours et ces créatures ignobles ont
quitté notre grand et beau pays.
Le silence se fit de nouveau : la cour du Koryo
semblait avoir un amour immodéré de la lenteur. Djaghataï se rappela la fois où
il avait goûté à cette boisson qu’on appelait « nok tcha ». Jelme
avait plissé le front lorsqu’il avait vidé sa coupe d’un trait et l’avait
tendue pour qu’on la lui remplisse de nouveau. Apparemment, le liquide vert
pâle était trop précieux pour qu’on l’avale comme de l’eau. Un guerrier n’avait
pas à se soucier de la façon dont un autre boit ou mange ! Djaghataï
mangeait quand il avait faim et oubliait souvent d’assister aux repas raffinés
de la cour. Il ne comprenait pas l’intérêt de Jelme pour des rituels inutiles.
Quand je dirigerai le peuple mongol, je ne permettrai aucune
prétention, se promit-il. Pas besoin de consacrer un temps interminable à
manger ni à préparer
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