La Collection Kledermann
exemple ?
— Et le jour aussi !
— Qu’est-ce qui vous donne cette assurance ?
Bombant le torse et avec une grande dignité, Wishbone mit fin aux palabres :
— J’ai acheté ! fit-il. Demain on emménage.
Aldo ne put s’empêcher de rire en pensant que la fréquentation assidue d’un milliardaire avait vraiment de bons côtés ! Cependant il objecta :
— Vous allez habiter dans une ruine ?
— Qui a dit que c’était une ruine ? C’est seulement une antique construction qui nécessitait un coup de pinceau ou deux. Boleslas, mon valet qui est très bricoleur, y est depuis une semaine avec deux ouvriers qu’il a dénichés dans le coin. On sera très bien. Venez visiter demain après-midi !
— Volontiers, mais il ne vous est pas venu à l’esprit que Gandia pourrait chercher à savoir qui est son nouveau voisin ? S’il apprend que c’est vous ?
— Pas de danger, répondit Wishbone. J’ai acheté au nom de mon notaire et ami maître Santini, un nom italien, comme vous voyez !
— N’est-ce pas un peu dangereux ? ironisa Adalbert. S’il lui prenait l’envie de venir jouer les propriétaires ?
— Quand on en n’aura plus besoin, je lui en ferai cadeau. Il sera content d’avoir une maison ici !
— Ben voyons ! soupira Adalbert battu à plate couture tandis qu’Aldo se remettait à rire. Comment ai-je pu penser autre chose même un instant !
Le lendemain, après s’être accordé une matinée de farniente, Aldo et Adalbert, munis d’un plan dessiné par le professeur, s’en allèrent visiter la villa Hadriana, la nouvelle acquisition de Wishbone, et purent constater, en effet, que c’était un poste d’observation d’autant plus pratique que, si les parcs entourés d’arbres étaient voisins, ce n’était pas la même petite route qui les desservait. Accueillis par Boleslas – qu’ils ne connaissaient d’ailleurs pas – mué en majordome compassé, ils furent introduits dans un salon agréable d’où l’on découvrait le lac… et par la surprise de leur vie : dans une bergère, une copie fort approximative de Tante Amélie les observait à travers un face-à-main. Sans doute quelque peu caricaturale pour qui connaissait l’original, mais qui pouvait faire illusion grâce à une perruque blanche surmontant une figure poudrée, à une robe « princesse » et à des sautoirs de pierreries et de perles. Des gants de dentelle cachaient les mains abondamment baguées… Un éclat de rire salua leur stupeur :
— Alors ? Comment me trouvez-vous ? demanda le professeur qui pour la circonstance avait rasé sa moustache et épilé ses sourcils.
— C’est au moins inattendu ! exhala Aldo. Peut-on savoir à qui nous avons l’honneur ?
— Je suis Mrs. Albina Santini, la tante du notaire.
Pas trop sûr de goûter la plaisanterie, Aldo demanda :
— Vous ne pouviez pas prendre pour modèle quelqu’un d’autre que Tante Amélie ? Toujours votre vieille rancune ? Elle ne serait pas contente si elle vous voyait !
— Ça, mon garçon, ce n’est pas sûr du tout ! Je suis convaincu qu’elle s’en amuserait plutôt ! Mais j’explique. À cause de mes mains et de mes pieds, il m’était impossible de porter les modes actuelles. En outre, mon rôle consiste à me promener dans le jardin avec une canne, à m’y installer pour lire, coiffé d’immenses chapeaux sous des voilettes épaisses. En bref jouer de la figuration intelligente car vous pensez bien que nos… voisins vont essayer de voir à quoi on ressemble. Il s’agit bêtement de leur donner tous apaisements possibles !… Boleslas, ajouta-t-il à l’intention du Polonais qu’il venait de sonner, apportez-nous du café !… Ou autre liquide si vous préférez ?
— Ça ira très bien ! Et l’ami Wishbone, qu’est-ce qu’il figure dans votre comédie ? Si c’est Plan-Crépin, ça va se compliquer.
— Mais non, voyons ! Le jardinier ! Cela lui permet d’être dehors tout le temps et de regarder partout. Il n’a fait que raser sa barbe et remplacer son auréole de feutre par un chapeau de paille… En outre il s’y connaît. Tenez ! Le voilà !
Drapé dans un vaste tablier de toile bleue, le ventre orné d’une grande poche d’où émergeait un sécateur, le héros effectuait une entrée théâtrale, l’œil tout pétillant de malice et visiblement ravi de leur petit complot.
— Alors qu’en dites-vous ?
— Que vous êtes sans doute complètement fous tous les deux mais que ce sont parfois les
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