La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
toutes les populations du Bas-Maine, et se ruant depuis le fond de la Mayenne jusqu’au fond du Morbihan.
Il y avait là un grand rôle à jouer pour le comte de Chanteleine ; pourquoi ne l’aurait-il pas accepté ? Trégolan et Kernan discutèrent toutes ces probabilités. Cependant, le secret gardé par le comte faisait hésiter Kernan.
– Il ne se serait pas caché de nous, disait-il, s’il était retourné sur les champs de bataille.
– Qui sait ?
– Non, il faut qu’il y ait autre chose.
Alors l’un ou l’autre allait aux nouvelles ; ils s’exposaient même pour savoir ce qui se passait dans la Vendée ou, dans le Morbihan ; le bruit d’un engagement leur mettait la mort dans l’âme. Cependant, malgré tous leurs efforts, ils ne purent apprendre quoi que se fût.
Marie tremblait et priait pour son père, et, en regardant autour d’elle, elle arrivait à se considérer comme presque isolée dans le monde.
Alors il lui prenait des moments de désespoir. Kernan et le chevalier essayaient de la rassurer, sans y réussir.
Les jours se passèrent ; les nouvelles du comte manquaient toujours ; les bruits du dehors étaient alarmants.
Le comte avait disparu le 20 mars, et, six jours après, les Vendéens reprenaient l’offensive par un coup d’éclat.
Le 26 mars, la ville de Mortagne venait d’être enlevée aux Bleus ; or, à cette affaire, Marigny commandait en chef ; Marigny, l’ancien compagnon de Chanteleine, qui, après trois mois d’une existence vagabonde, reparaissait en vainqueur.
En apprenant ce fait, Kernan s’écria :
– Notre maître est là ! il est à Mortagne !
Mais en connaissant les détails de la sanglante bataille qui avait eu lieu, comment les meilleurs soldats des Blancs y trouvèrent la mort, l’inquiétude des deux hommes et de la jeune fille fut au comble, et quand, quinze jours après la prise de Mortagne, on fut encore sans nouvelles, Marie, désespérée, s’écria :
– Mon père ! mon pauvre père est mort !
– Ma chère Marie, répondit Trégolan, calmez-vous ! non, votre père n’est pas mort ! rien ne le prouve.
– Je vous répète qu’il est mort ! répéta la jeune fille sans vouloir l’entendre.
– Ma nièce, reprit Kernan, on n’envoie pas de ses nouvelles comme on veut, dans les temps de guerre ; au bout du compte, c’est une victoire qui vient d’être remportée sur les républicains.
– Non ! Kernan ! il ne faut pas espérer ! ma mère morte dans son château ! mon père mort sur le champ de bataille ! je suis seule au monde ! seule, seule !
Marie sanglotait. Cette épreuve l’avait brisée ; sa frêle nature ne pouvait résister à tant de coups répétés. Et, quoiqu’elle n’eût aucune preuve de la mort de son père, comme il arrive dans certains moments de désespoir, elle se fit à cet endroit une conviction que rien ne put ébranler.
Cependant, lorsque Marie s’écria qu’elle était seule au monde, Kernan sentit une grosse larme couler le long de sa joue, son cœur saigna, et il ne put s’empêcher de dire :
– Ma nièce Marie, ton oncle est encore près de toi.
– Kernan, mon bon Kernan, répondit la jeune fille en serrant la main du Breton.
– Tu auras toujours un ami pour t’aimer, reprit-il.
– Deux, s’écria Trégolan, auquel cette parole échappait malgré lui ; deux ! ma chère Marie, car je vous aime !
– Monsieur Henry ! dit Kernan.
– Pardonnez-moi, Marie ; pardonnez-moi, Kernan, mais ces paroles m’étouffaient ! non ! ma chère bien-aimée n’est pas seule au monde ! non ! je serai heureux de lui consacrer ma vie tout entière.
– Henry ! s’écria la jeune fille.
– Oui, je l’aime, vous le savez, Kernan, et vous à qui son père l’a confiée, vous approuvez mon amour !
– Monsieur Henry, pourquoi dire ces choses, puisque… ?
– Ne craignez rien, Kernan, ni vous, ma chère Marie ; si j’ai parlé ainsi, c’est que je vais partir.
– Partir ! s’écria Marie.
– Oui, m’éloigner de vous, de vous que j’aime et de qui j’aurais voulu emporter quelque bonne parole. Si j’avais dû rester, j’aurais renfermé ce secret dans mon cœur, comme je l’avais promis à Kernan ; mais je pars, pour combien de temps ? je l’ignore ; et maintenant me pardonnez-vous d’avoir parlé ?
– Mais où allez-vous donc, Henry ? demanda M lle de Chanteleine avec un accent qui pénétra l’âme du jeune
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