La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
dans sa chambre. Dès qu’elle fut partie, le Breton saisit le bras du chevalier.
– C’est demain l’exécution, dit-il.
Henry devint pâle de terreur.
– C’est demain, reprit Kernan, mais j’arracherai notre maître à la mort au pied même de l’échafaud, ou je mourrai !
– J’irai avec vous, Kernan, dit Henry.
– Et Marie, que deviendra-t-elle ?
– Marie, Marie, fit le jeune homme.
– Il faut bien que vous restiez là, si je venais à mourir. Mais qu’elle ne sache rien, la pauvre enfant ; demain, elle sera orpheline, ou son père lui sera rendu.
Henry voulut insister encore, mais il se débattait contre lui-même, et la raison, d’accord avec ses sentiments, lui faisait une loi de demeurer près de sa fiancée.
Ni Kernan ni Henry ne dormirent pendant cette nuit funeste ; le Breton pria avec ferveur.
Au matin, Kernan embrassa Marie, serra la main du chevalier, et reprit le chemin de Recouvrance. Il n’avait pas de projet arrêté : les circonstances le décideraient à agir.
À six heures, il entra dans la ville et se dirigea vers la prison. Pendant deux heures il attendit ; il vit venir la charrette peinte en rouge. À huit heures, elle ressortait avec une charge de condamnés ; le comte de Chanteleine était parmi eux. Les gardes nationaux les entouraient et le funèbre cortège se dirigea vers l’échafaud.
Un moment, le comte aperçut Kernan dans la foule. Une interrogation rapide passa dans son regard ; que pouvait-il demander, sinon ce qu’était devenue son enfant ?
Un signe de Kernan lui apprit qu’elle était en sûreté ; le comte le comprit, car un sourire passa sur ses lèvres, et il se mit à prier avec une ferveur dans laquelle entrait une vive reconnaissance.
La charrette s’avançait au milieu d’une foule considérable. Les sans-culottes de la ville, les clubistes, tout le rebut de la population insultait les condamnés, les menaçait et leur prodiguait les plus grossières injures. Le comte surtout, noble et prêtre, était en butte à leurs plus haineuses vociférations.
Kernan marchait auprès de la charrette ; au détour d’une rue, l’instrument de mort apparut ; il n’était pas à deux cents pas.
Tout à coup, un temps d’arrêt se fit, la foule s’arrêta. Il se passait quelque chose ; on s’interrogeait ; des cris se mêlaient aux hurlements. On entendait même ces paroles :
– Assez ! assez !
– Faites rebrousser chemin aux condamnés !
– À bas les tyrans ! à bas Robespierre ! vive la République !
Un mot expliqua tout. Le 9 Thermidor venait d’éclater à Paris. Le télégraphe, que deux ans auparavant Chappe avait fait adopter à la Convention, apportait à l’instant la grande nouvelle. Robespierre, Couthon, Saint-Just venaient à leur tour de périr sur l’échafaud.
Il y eut immédiatement une sorte de réaction ; on était dégoûté du sang. La pitié l’emporta un instant sur la colère, la charrette fatale s’arrêta.
Kernan s’élança aussitôt, enleva le comte avec une force irrésistible au milieu des bravos et des cris, et, une demi-heure après, le comte était dans les bras de sa fille.
Pendant les quelques jours d’étonnement qui succédèrent au 9 Thermidor, le comte et les siens purent quitter le pays et enfin passer en Angleterre. Dieu avait donné à leurs infortunes un dénouement qu’ils tic pouvaient espérer de la part des hommes.
Ici finit cet épisode, pris aux plus mauvais jours de la Terreur. Ce qui suivit, chacun le devine.
Le mariage de Henry de Trégolan et de Marie se fit en Angleterre, où toute la famille resta pendant quelques années.
Dès que les émigrés purent regagner leur pays, le comte fut un des premiers à rentrer en France. Il revint à Chanteleine avec sa fille, Henry et le brave Kernan.
Là, ils vécurent heureux et tranquilles, le comte administra tranquillement sa petite paroisse, préférant cet humble rôle aux dignités qui lui furent offertes, et les pêcheurs de la côte parlent encore avec regret et reconnaissance du noble curé de Chanteleine.
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Septembre 2007
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