La couronne de feu
Les gardes s’y sont opposés. Un chariot recouvert d’une bâche de cuir l’attend sous la tour des Deux-Écus, attelé d’un couple de boeufs, avec une escorte d’une douzaine d’archers en tenue de parade. Massieu monte avec elle et lui prend la main.
Le cimetière, que l’on appelle l’ aître de Saint-Ouen, entoure l’église au porche monumental, au clocher carré, à la fois massif et délicat. Il est bordé de jardins, d’immeubles bas dont certains abritent des galeries semblables à celles des cloîtres, au fronton desquelles courent des images de danse macabre aux couleurs passées. Des volées d’enfants passent en rafale autour d’une haute croix de pierre à laquelle pend un écriteau portant en caractères maladroitement dessinés une formule mystérieuse : Post tembras spero lucem .
Deux chapiteaux ont été dressés sur cet espace libre : le plus grand accueillera le tribunal et les notables ; le plus petit est destiné à Jeanne.
– C’est en cet endroit, lui dit Massieu, que se tiennent les foires et les marchés et qu’ont lieu les admonitions qui préparent au billot ou au bûcher.
Jeanne a sursauté en apercevant, au fond de la place, bien en évidence malgré tout, le bourreau et son aide assis sur le banc d’un chariot.
La foule était déjà dense lorsqu’un cordon d’archers s’est rangé le long des barrières de bois qui limitent l’ aître . Au milieu d’elles figurent quelques autres soldats dont on devine la présence à des casques et à des lances.
Lorsqu’on a fait descendre Jeanne de son chariot, un murmure profond a passé sur la foule, avec des insultes et des menaces que nul n’a repris et qui sont retombées comme des pierres dans le silence d’une citerne. Lorsque les voitures transportant les autorités se sont rangées devant l’entrée du cimetière, la rumeur s’est amplifiée, mêlée à quelques vivats vite étouffés.
C’est à Guillaume Érard, ancien professeur de théologie à l’Université, chanoine de Beauvais et de Langres, qu’est revenu le triste privilège de proposer à la prisonnière une ultime admonition. Massieu glisse à l’oreille de Jeanne :
– Ce religieux s’est donné aux Anglais depuis longtemps mais il a failli refuser cette tâche car il juge que ce procès a été mal engagé.
Drapé d’une longue robe en tissu léger, Érard accède à une sorte d’ambon proche de la grande tribune. Il commence son discours par une citation du livre de saint Jean : Le pampre ne peut porter de fruit que s’il reste attaché à la vigne . Allusion habile et claire à la situation de la Pucelle. Il a ajouté en ajustant ses bésicles sur son nez pustuleux :
– Tous les catholiques doivent de même rester attachés à la vraie vigne que Notre-Seigneur a plantée. En se séparant de l’Église Jeanne a scandalisé le peuple de Dieu ! Jamais dans la chrétienté ne s’est manifesté un tel monstre d’orgueil que celui qui gît en cette fille ! Le soi-disant roi qui la protège encourt les mêmes reproches en ayant retrouvé son trône grâce au secours d’une hérétique !
Chapitré sans doute par les juges, Érard met sur le même pied Jeanne et son roi, mais c’est à ce dernier surtout qu’il s’en prend par la suite, afin d’entacher de doute la légitimité de son sacre. Il lance d’une voix provocante :
– C’est à vous, Jeanne, que je m’adresse lorsque j’affirme que votre roi est hérétique et schismatique !
Conseillée par Massieu elle s’est promis de ne pas répondre aux provocations de ses juges, mais elle ne peut se retenir de répliquer :
– Sous peine de ma vie, je déclare que mon roi est le plus noble chrétien de tous les chrétiens et que sa foi en l’Église est sincère !
– Huissier, s’écrie l’orateur, faites en sorte que cette sorcière ne m’interrompe pas ! Jeanne, je vous somme de répondre aux dits et faits qui vous sont reprochés !
– Je répondrai, dit-elle d’une voix lasse, mais je rappelle à mes juges que j’ai demandé que les pièces du dossier soient envoyées au Saint-Père auquel je me reporte, Dieu premier servi. Je désire être menée à Rome pour que le pape m’interroge lui-même, car je n’ai aucune confiance dans vos papiers.
Protestation d’Érard : Rome est trop éloignée de Rouen et les routes sont dangereuses. D’ailleurs le tribunal est seul juge en son diocèse. Soumise aux monitions, Jeanne refuse de nouveau d’abjurer.
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